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547 JEAN SAIN1. LE Q1 ATRIÈME ÉVANGILE ET LA TRADITION 548

par de Boor : si l’évêque d’Hiérapolis avait véritablement déclaré que l’apôtre saint Jean avait été martyrisé par les Juifs, on ne s’expliquerait pas que ce texte n’ait pas été remarqué par les écrivains anciens qui ont eu entre 1ermains l’ouvrage de Papias, et ait si peu influé sur la tradition postérieure, qu’llamartolos et Philippe de Side eux-mêmes admettent le séjour et la mort de saint Jean à Éphèse : dans ces conditions, ne devrait-on pas attribuer une sérieuse probabilité à l’hypothèse énoncée par l’unk. loc. rit., qui suppose que, dans le texte de Papias cité par les deux chroniqueurs, il s’agissait de Jean-Baptiste, et non de l’apôtre Jean ? Quant a la mention du martyrologe syriaque, la commémorai son de Jean, à la même date que son frère Jacques, peut très bien s’expliquer par une raison autre que le martyre. Cf. Stanton, op. cit., p. 113-117. Reste la prédiction de Jésus rapportée par saint.Matthieu et saint Marc. Mais la conclusion qu’on en prétend tirer s’impose si peu qu’aucun commentateur, avant ces vingt dernières années, n’a estimé qu’elle ne pût s’expliquer que par la mort violente de saint Jean : de quelque façon qu’on la considère, comme une véritable prophétie ou comme une prédiction calquée par les évangélistes sur le fait accompli, elle était suffisamment justifiée par les souffrances et les persécutions auxquelles saint Jean fut exposé comme les autres apôtres, et Jean est cité comme martyr par de écritvains, Polycrate entre autres, qui admettaient sa mort à Éphèse. En tous cas l’argument qu’on prétend en tirer ne saurait prévaloir contre l’ancienneté et la presque unanimité de la tradition éphésienne.

La question du martyre supposé de S. Jean est l’objet d’une discussion détaillée dans Lcpin. L’origine du quatrième évangile, Paris 1907, p. 108-123 ; Stanton, op. cit., p. 113-122 ; Latimer Jackson, The Problem o/ Oie Fourth Gospel, Cambridge, 1918, ExcursttS I. On trouvera de plus dans ces deux

derniers ouvrages la bibliographie complète de cette question.

6) Le presbytre Jean. — Mais la tradition éphésienne elle-même ne serait-elle pas le résultat d’une confusion qui se serait produite de très bonne heure entre un personnage du nom de Jean, « disciple du Seigneur », mais non pas apôtre, qui aurait vécu à Ephèse à la fin du ie siècle et le lils de Zébédée ? C’est la thèse de plusieurs des critiques qui contestent l’authenticité du quatrième évangile, et quelques-uns attibuent à ce Jean d’Éphèse, sinon le quatrième évangile (c’est pourtant l’opinion de Ilarnack), tout au moins les deux petites épîtres johanniques, dont l’auteur se désigne lui-même sous le nom d’Ancien, ô Tzç.za[iùzzç, (jç, et peut-être aussi de l’Apocalypse.

L’existence à Éphèse d’un Jean l’Ancien distinct de l’apôtre Jean a pour principal appui un texte célèbre de Papias, conservé par Eusèbe, Hisl.Eccl., t. III, c.xxxix, n. 4-5, P. G., t. xx, col. 297 : « S’il survenait quelqu’un qui eût fréquenté les presbytres, dit l’évêque d’Hiérapolis. je consultais les dires des presbyties : qu’ont dit André, Pierre, Philippe, Thomas, Jacques, Jean, Matthieu OU quelqu’autre. des disciples du Seigneur ? Et ce que disent Aristion et le presbytie Jean. disciples du Seigneur. » Kusèbe, observant que Papias Cite deux fois le nom de Jean, une première fois avec des disciples qui sont des apôtres, el une seconde fois avec Aristion qui ne faisait pas partie des Douze, ajoute : l Ainsi apparaît vraie la relation de ceux qui

ont affirmé que deux personnages « le ce nom ont vécu

en Asie, et qu’à Éphèse se trouvent deux tombeaux

cpii. maintenant encore, sont appelés l’un et l’autre :

tombeaux de Jean. A quoi il est nécessaire de prêter

attention, car il esi vraisemblable que l’Apocalypse,

inscrite au nom (le Jean, a et é révélée au second, si on

ne veut pas du premier. * Malgré l’autorité d’Eusèbe,

la plupart des critiques contemporains qui admettent

l’authenticité johannique du quatrième évangile estiment que le texte de Papias n’oblige pas à distinguer deux personnages du nom de Jean, et qu’il n’y a jamais eu qu’un seul Jean à Éphèse : Jean l’Apôtre. Contre l’interprétation d’Eusèbe, qui paraît à première vue la plus naturelle, car il semble bien que Papias distingue deux groupes de disciples, les uns, les apôtres, appartenant à la génération précédente, dont il n’a connu l’enseignement que par les dires des presbytres, les autres, Aristion et le presbytre Jean, dont il aurait été l’auditeur direct (la différence des temps des verbes : eï-ev et Xéyouoiv est nettement en faveur de cette distinction), ils font valoir l’impropriété du titre de disciples du Seigneur donné dans cette hypothèse à des chrétiens du n c siècle qui n’avaient pu avoir aucun rapport avec Jésus, et surtout le fait que le presbytre Jean, dont on suppose l’existence, n’a laissé presqu’aucune trace dans la tradition, fait bien étrange et que les partisans de la distinction des deux Jean sont réduits à expliquer en disant que « la physionomie de l’apôtre prévalut sur celle du presbytre au point de l’effacer presque complètement. » Calmes, op. cit., p. 24. Le texte de Papias, ajoute-ton, est susceptible d’une interprétation différente de celle d’Eusèbe : on peut l’entendre par exemple dans ce sens que Papias aurait recueilli ce qu’on lui rapportait des dires des presbytres, c’est-à-dire des apôtres en général, pour le comparer à ce que lui-même apprenait de la bouche de l’apôtre Jean et du disciple Aristion, dont il était l’auditeur immédiat. Lepin, L’origine du quatrième évangile, p. 140.

Il n’y a pas lieu d’insister ici sur le véritable sens du texte de Papias, bien que l’interprétation d’Eusèbe paraisse plus naturelle. Que Papias ait voulu parler de deux personnages du nom de Jean ou d’un seul, cela en effet ne tranche pas la question du séjour de l’apôtre Jean à Éphèse et de l’origine du quatrième évangile. Car lors même que l’existence du presbytre Jean serait absolument prouvée, il n’en résulterait pas que ce soit par une confusion avec ce personnage, ainsi que le soutiennent les critiques radicaux, que la tradition ecclésiastique depuis saint Justin (qui attribue l’Apocalypse à l’apôtre Jean), tradition qui a pour représentants des hommes, tels que saint Irénée et Polycrate lesquels ont vécu en Asie, aurait supposé que le lils de Zébédée serait venu à Éphèse et y aurait écrit le quatrième évangile. Peut-on raisonnablement supposer la transformation légendaire d’un presbytre en apôtre dans le milieu même où le personnage avait laissé des souvenirs si profonds, là où l’on montrait son tombeau, et à une époque la première moitié du n 1’siècle — où vivaient encore nombreux ceux qui l’avaient vu et entendu’.' Pour expliquer qu’une telle confusion se soit produite, et se soit produite dès l’origine, puisque la tradition qui attribue le quatrième évangile a l’apôtre Jean a, dès la fin du n 1’siècle, des représentants en Occident comme en Orient, 1res éloignés et certainement indépendants les uns des autres, il faudrait supposer — et plusieurs critiques admettent cette hypothèse que la contusion a été volontairement provoquée par les éditeurs de l’évangile, qui, pour en rendre la diffusion plus facile, auraient voulu lui assurer le bénéfice d’une origine apostolique. Mais, pour en venir à une telle hypothèse, il faut s’être convaincu par des raisons intrinsèques que le quatrième évangile ne peut absolument pas revendiquer une origine apostolique, on est ainsi amené à examiner ce que le quatrième évangile lui-même peut nous apprendre sur la personnalité de son auteur, alin de juger si le verdict de la critique radicale est appuyé sur des raisons int riusèques tellement puissantes qu’il doive prévaloir sur la croyance

presqu’unanime de l’antiquité chrétienne.