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.JÉRÉMIE. LE PROPHÈTE
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disparaîtront pour faire place à la force et à la grandeur d’âme ou mieux en exalteront encore tout le mérite. Sans défaillance, malgré les pires dangers, Jérémie annoncera à son peuple et aux nations les ordres et les châtiments divins, mais aussi les promesses de restauration. Prophète pour les nations, il l’est, en effet, .Jer., i, â, non seulement à cause des oracles des c xlvi-ij, mais encore parce qu’il ne pouvait guère prédire les malheurs de Juda sans parler en même temps de ceux qui en devaient être les instruments. Jer., xviii, xxv. xxvii, xxviii. xxxvi.
Quelques mots sur la situation politique générale à l’époque de l’activité de Jérémie aideront à mieux comprendre celle-ci. La puissance assyrienne, qui avait anéanti le royaume d’Israël, 722-721, et qui, par un miracle prédit par Isaïe, avait été empêchée de faire subir le même sort à Juda, 701, était alors à son déclin. Pour prendre sa part des dépouilles du grand empire chancelant, Néchao II (610-594), le pharaon d’une Egypte relevée des humiliations de la conquête assyrienne, accourait à la tête d’une armée, 508. Malgré le message pacifique, adressé au roi de Juda, pour obtenir de lui libre passage, Josias crut de son devoir, malgré l’issue probable d’une lutte inégale, de s’opposer au passage du pharaon. Dans la rencontre, qui eut lieu à Mageddo, près du mont Carmel, il trouva la défaite et la mort. Son successeur Joachaz, destitué et exilé en Egypte par le vainqueur, fut remplacé par Joakim, dont l’attitude ne devait que trop rappeler celle de Manassé (608-598).
Cependant Ninive succombait (608-606) et les Chaldéens poursuivaient leur conquête, sous la conduite de Nabuchodonosor, fils du roi de Babylone, en mettant en déroute l’armée de Néchao à Carcamis (605). Ce désastre entraînait pour Juda comme pour les peuples de Syrie la nécessité de reconnaître la suzeraineté de Babylone, héritière de l’hégémonie assyrienne. Jérémie le comprit et ne cessa dès lors de recommander la soumission. Il n’en fut pas de même de Joakim ; réduit à la dépendance, la rareté et le vague des renseignements ne permettent pas de préciser en quelles circonstances, il manifesta à différentes repiises une attitude que Nabuchodonosor jugea hostile. A la tête d’une armée, renforcée de contingents syriens, moabites et ammonites, ce dernier entreprit une campagne contre Juda. Avant sa fin, Joakim mourait, et Joachin, son fils et successeur livrait Jérusalem, après trois mois de siège. Mathanias, le plus jeune fils de Josias, était alors établi roi de Juda, sous le nom de Sédécias, par Nabuchodonosor (598).
La soumission à Babylone semblait cette fois devoir être définitive. Il n’en fut rien. Les intrigues de l’Lgyptc, les menées du parti toujours confiant en l’appui des pharaons, les encouragements des faux prophètes, les tentatives de coalition d’Ldom, de Meab, d’Ammen, de Tyi et de Bidon finirent par triompher, malgré les pressants avertissements de
Jérémie, des dernières résistances du faible Sédécias.
I.e roi de Babylone entreprit une nouvelle campagne <t après avoir ravagé le pays vint mettre le siège
devant Jérusalem la 9o année de Sédécias. au 10’mois. Obligé de l’abandonner pour faire front : i une année de secours des Égyptiens, il le reprit bientôt ci le’. » Jo.UI <ln I’mois de la 11" année de Sédécias. les assaillants pénétraient dans la ville. I.e roi de Juda. arrêté dans sa fuite, eut les yeux crevés, après avoh assisté au massacre de ses lils : la ville hit démantelée,
h- 1 emple pille et brûlé, de nombreux capl ils emmenés ; seul demeura le petit peuple, laisse a la culture des vignes ci des champs, sous le gouvernement de Godo lias (687).
Non moins que la situation politique, la situation m laie et religieuse est profondément troublée durant
le règne des derniers rois de Juda. Jérémie, n’ayant pu, malgré ses eftorts répétés, garder a la nation son existence, essaiera de lui garder du moins sa religion. Son rôle an temps de Josias nous est mal connu. Rien , ni dans son livre, ni dans celui des Rois ne nous permet de nous rendre compte de la pari qu’il a pu avoir dans la réforme entreprise par ce roi, à la suite de la découverte du livre de la Loi dans le temple (621). Faut-il chercher l’explication de ce silence dans l’attitude hostile qu’aurait observée le prophète à l’égard du Deutéronome et de la réforme dont il est le programme ? (K. Marti, Duhm, Cornill, Kent.) Il ne le semble pas, car non seulement l’oracle certainement authentique du c. xi : « Entendez les paroles de cette alliance (Deutéronome) » contredit pareille hypothèse, mais encore l’identité de pensée et d’expression se retrouve si souvent dans le livre de la Loi et celui du prophète qu’on est obligé de conclure, sinon à l’identité d’auteur, du moins à l’attitude nettement favorable de Jérémie vis-à-vis du Deutéronome. Cf. infra et Condamin, Le Livre de Jérémie, p. 103-106. La date tardive de la rédaction des oracles est sans doute la meilleure explication de ce silence sur des événements qui avaient dès lors beaucoup perdu de leur intérêt. La jeunesse et le manque de notoriété de Jérémie rendent d’ailleurs assez peu vraisemblable qu’il ait joué un rôle de premier plan lors de la réforme de 621. Toutefois les reproches et les exhortations qu’il avait déjà adressés au peuple, Jer., n-iv, 6, avaient contribué sans doute à préparer les esprits à la nécessité et aux conditions d’un changement de vie. L’éloge enfin qu’il fait de Josias, roi juste et équitable, Jer., xxii, 15, suffirait à rendre tout à fait invraisemblable cette prétendue opposition à l’œuvre réformatrice du roi. Approuva-t-il également sa campagne malheureuse contre Néchao ? C’est assez peu probable, étant donné sa sympathie ou plutôt sa politique à l’endroit de Babylone et l’enthousiasme avec lequel il décrit la déroute des Égyptiens à Carcamis qu’il célèbre comme « le jour de la vengeance de Iahvé ». Jer., xi.vi, 3-12.
Avec Joakim, la situation change : au point de vue politique, l’influence de l’Egypte est prédominante ; au point de vue religieux, c’est le retour aux pratiques idolâtriques, à la corruption du temps de Manassé ; pour le prophète, c’est la persécution, pour le peuple, l’oppression et la violence. Aussi les occasions sont-elles nombreuses où Jérémie aura à intervenir.
Menaces d’invasion terrible, Jer., iv, 5-vi, 3, annonce de la ruine des villes de Juda, de Jérusalem, du temple même, de la dispersion des habitants, Jer., vn-x ; xxv, oracles symbolisant les mêmes catastrophes, Jer., xviii, 1-17 ; xix. ne font qu’exciter la fureur des ennemis du prophète qui ne lui ménagent ni les mauvais traitements ni les menaces de mort, Jer., xx : xxvi ; la rédaction enfin de ses oracles met le comble à la colère du roi qui ordonneson arrests tion. Jer., xxxvi.Danscette lutte inégale, l’aine sensible de Jérémie est mise à une rude épreuve, elle s’exhale en plaintes amères, en imprécations contre ses adversaires. Jer., xvii, 14-18 ; xviii, 18-23 ; xx, 7-18 ; elle ne cède pourtant pas au découragement : le rouleau des prophéties lacéré et jeté au feu par.Ioakini. sera de nouveau dicté à Baruch : l’heure du châtiment n’en sera pas retardée ; le luxe insolent, l’injustice et la Violence du roi impie exigent prompte et terrible vengeance : i C’est la scpullurc d’un âne qu’il aura, il sera traîné et Jeté hOTS des portes de Jérusalem… » Jer.. xii. 19. Ce n’est pas à dire toutefois que Jérémie se soit complu dans ces jugements et ces condamnations ; n’essaie-t il pas au contraire de fléchir la rigueur des arrêts divins sans se laisser rebuter par des insuccès répétés ? 1er., xiv ; XV.