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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 8.1.djvu/516

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1013 JÉSUITES. LES PREMIÈRES DIRECTIVES THÉOLOGIQUES L014

pas avoir d’autre but que celui de la Compagnie elle-même : le bien des âmes en vue de leur salut éternel. Comme moyen tendant à ce but, on étudiera les langues, les diverses parties de la philosophie, la théologie « scolastique et positive ». et la sainte Écriture.

L’enseignement ne sera réellement profitable aux étudiants qu’à la condition d’être non seulement orthodoxe, mais solide et sur. De là cette règle générale : < Qu*en chaque faculté on suive la doctrine la plus sûre et la mieux approuvée, securiorem et magis approbatam doclrinam, et par suite les auteurs qui l’enseignent ; au recteur appartient le soin de veiller à ce point, en s’attachant à ce qui aura été établi, pour la plus grande gloire île Dieu, dans la Compagnie entière. » Suit peu après, c. xiv, une détermination plus précise : « En théologie, on expliquera l’Ancien et le Nouveau Testament et la doctrine scolastique de saint Thomas ; en positive, on choisira les auteurs qui sembleront le mieux appropriés. En logique, en philosophie naturelle, en morale et en métaphysique on suivra la doctrine d’Aristote. »

En mettant ainsi à la base de l’enseignement théologique, la Somme de saint Thomas d’Aquin, sans toutefois l’imposer comme livre de texte, voir José Manuel Aicardo, Comenlario à las Constitucioncs, Madrid, 1922. t. iii, p. 305 sq.. le fondateur de la Compagnie de Jésus avait incontestablement en vue la sûreté de la doctrine, et Léon XIII, dans le bref Grauissime nos, a loué cette détermination comme pleine de sagesse non moins que de piété, provida mente et sancta. A cette époque, l’ange de l’École n’avait pas encore reçu officiellement le titre de docteur de l’Église, que saint Pie V devait lui décerner en 1565 ; le texte communément suivi n’était pas la Somme théologique, mais le livre des Sentences de Pierre Lombard, sauf de rares exceptions signalées par F. YLbxt, Die pàpstliche Encyklika vom 4 August 1879 und die Restauration der christlichen Philosophie, dans Slimmen aus Maria-Laach. Fribourg-en-Brisgau. 1880. t. xviii, p 389, rote 3. Cajétan avait bien publié des commentaires sur la Somme, au début du xvie siècle, et à Salamanque, quelques grands professeurs de l’ordre de saint Dominique, en particulier François de Victoria et Dominique Soto, avaient innové en substituant la Somme au livre des Sentences. Mais cette innovation n’était pas entrée dans la plupart des universités, notamment à la Sapience de Rome. En suivant le mouvement de Salamanque, saint Ignace posait un acte d’une réelle importance ; par là même il contribuait à procurer l’hégémonie de la Somme de saint Thomas, destinée à devenir le livre de texte dans le grand nombre d’universités et de collèges que la Compagnie de Jésus allait fonder ou diriger. Voir F. Ehrîe, Die valicanischen Handschriflen der Salmanlicenser Theologen des sechszehnlen Jahrhunderls. dans Der Kalholik. Mayence, 1884, 1. n p. "00 sq Le saint ajoutait, il est vrai, dans une note déclarative : « On lira également le Maître des Sentences » ; mais ou cette note ne représentait qu’une sorte de concession faite à l’usage courant, ou le texte du Lombard équivalait, pour saint Ignace, à l’élément positif A. Juan en. Stellung der Gesellschaft Jesu, p. 223. Bientôt la Somme théologique régna sans partage ; ce dont Tolet s’applaudissait au début de son cours : Nos divino Javore non Magistrum, sed sanctum Thomam suscipimus inlerpretandum.

Saint Ignace n’avait pas seulement en vue la sûreté de la doctrine, il visait encore à l’unité, souvent recommandée dans les Constitutions, en particulier IIIe partie, c, i, n. 18 : « Ayons tous les mêmes sentiments suivant l’avis de saint Paul, et, autant qu’il se pourra, exprimons-les de la même manière. Qu’on ne souffre donc jamais qu’il y ait parmi nous des divergences dans la doctrine soit en parole dans les prédications

ou leçons publiques, soit par écrit dans les livres, qui ne pourront être mis au jour sans l’approbation et le consentement du Père général. » Recommandation dont l’importance et la portée ressortant de cette déclaration ajoutée pur le saint fondateur : i II ne faut point admettre d’opinions nouvelles ; et si quelqu’un s’écartait, dans sa manière de voir, d’un sentiment commun de l’Église ou de es docteurs, il devrait soumettre son jugement à celui de la Compagnie, comme il est déclaré dans l’examen. Même dans les questions où les docteurs catholiques ne s’accordent pas, il faut s’efforcer d’avoir dans la Compagnie la conformité. » Curandum est. Par ce terme plein de réserve, saint Ignace nous montre dans la conformité parfaite des sentiments un idéal qu’il ne faut jamais perdre de vue, mais sans prétendre par le fait même que cet idéal soit pleinement réalisable ici-bas ; aussi avait-il dit dans le premier passage : quoad ejus fieri possil… quantum fieri potest, c’est-à-dire, dans la mesure du possible. Ce qui doit s’entendre moralement parlant, comme dans les choses humaines de cette nature.

A la solidité et à l’unité de la doctrine un autre caractère doit s’ajouter : l’enseignement devra être pratique en vue dû but à poursuivre, le bien des âmes. C’est ce qui explique une déclaration du saint fondateur, relative au texte où il dit de prendre la Somme théologique pour texte scolaire : « Mais si dans la suite on composait une autre théologie, non contraire à celle-là, huic non contrariam, qui parût mieux appropriée aux besoins de notre époque et, à ce titre, plus utile aux étudiants, on pourrait, après sérieux examen de l’affaire par ceux qui dans toute la Compagnie seraient les plus capables d’en juger et avec l’approbation du père général, la prendre pour texte de l’enseignement. » Les termes restrictifs, huic non contrariam, indiquent assez que saint Ignace n’entendait pas parler de la doctrine de saint Thomas prise en elle-même, mais seulement de l’exposition concrète, d’une mise en œuvre de cette doctrine conservée quant à la substance ; interprétation que la l re Congrégation générale, tenue après la mort du fondateur en 1558, a fixée en modifiant ainsi le texte primitif : sed si videretur temporis decursu alium auctorem. Saint Ignace admettait donc l’hypothèse d’une rédaction nouvelle, spécialement adaptée aux besoins nouveaux. Il en provoqua même la réalisation, en pressant Jacques I.ainez de composer un manuel de ce genre. L’œuvre fut commencée, mais les autres occupations de Lainez ne lui permirent pas de la mener à bonne fin ; les notes conservées « sont en grande partie des compilations de textes et d’opinions de divers auteurs, tirés des œuvres des Pères, de l’histoire des conciles et des écrits théologiques anciens et modernes. » J. Boero, Vie du P. Jacques Lainez, Lille, 1894, p. 223 ; Polanco, Chronicon Soc. Jesu, anno 1553, n. 124, t. iii, p. 67 sq.

Pourquoi ce désir d’une adaptation nouvelle de la théologie ? Parce que, depuis l’époque où saint Thomas avait composé la Somme, les conditions avaient notablement changé. Un fait d’une extrême gravité s’imposait : l’apparition et la diffusion du protestantisme. Si les luthériens et les calvinistes s’en prenaient à la théologie scolastique, ce n’était pas seulement pour la méthode qui lui est propre ; c’était aussi pour des raisons plus foncières qui rappelaient en partie la critique faite au xme siècle par Roger Bacon de ce qu’il appelait » les sept péchés capitaux » de la théologie de son temps, voir t. ii, col. 27 sq ; ils critiquaient en particulier l’ingérence de la philosophie dans la science sacrée et l’insuffisance des preuves scripturaires ou patristiques en beaucoup de points affirmés par les catholiques. En outre, les humanistes augmentaient la difficulté par leurs attaques railleuses et passionnées contre ce qu’ils tenaient pour un jargon de barbares.