JESUITES. VI i : D’ENSEMBLE DU MOUVEMENT DOCTRINAL
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autres plus encyclopédiques et par là même impuissants à donner le même soin à tous les détails. » Observation juste, mais qui ne s’oppose nullement à ce qu’on trouve chez ces divers auteurs l’air de famille. que l’emploi d’une même méthode générale donne à leurs écrits.
Le mouvement théologique, tel qu’il apparaît dans le premier siècle de la Compagnie de Jésus, présente un autre caractère : l’ampleur donnée à la culture des sciences sacrées. Saint Ignace avait, dans la 11e règle d’orthodoxie, préconisé l’alliance de la théologie scolastique et de la positive ; mais qu’entendait-il par cette dernière ? Dans son avis. De ralione theologiee et sacræ Scripturæ docendx, Maldonat semble identifier la théologie positive et la théologie morale : et morale m qiwm positivant vocant, dans Monumenla pœdagogica. p. 864. La pensée de saint Ignace allait certainement plus loin, car dans la règle même dont il s’agit, il énumère en parlant de la théologie positive la sainte Écriture, les écrits des saints docteurs positifs, les conciles, les canons, et constitutions de la sainte Église catholique notre mère. » Un document rédigé vers 1566 donne également la théologie positive pour « celle qui consiste dans l’étude des saintes lettres et des docteurs, des conciles et de la partie du droit canonique qui se rapporte à la théologie. » Instructio pro prxjecto sludiorum, dans Pachtler, op. cit. 1. 1, p. 203.
Toutes ces sciences et l’histoire ecclésiastique qui s’y rattache, peuvent être considérées sous un double aspect : en tant qu’elles fournissent à la théologie scolastique les matériaux dont elle se sert en les organisant, ou bien en tant qu’elles constituent en elles-mêmes des branches distinctes, quoique indépendantes. Considérées sous le premier aspect, ces sciences rentrent dans la théologie dogmatique, telle que les grands théologiens jésuites l’ont comprise et pratiquée. Mais ils tirent davantage ; plusieurs d’entre eux. et non des moindres, cultivèrent ces sciences pour elles-mêmes. Ceci est vrai tout d’abord de l’Écriture sainte. Pendant le premier siècle de son existence, la Compagnie de Jésus né fut pas moins fertile en grands exégètes (m’en grands théologiens scolastiques. Il serait même plus exact d’éviter l’opposition tacite que cette manière de parler semblerait supposer, car plusieurs parmi les plus grands turent tout a la fois énrinents comme théologiens scolastiques et comme exégètes. Si François Tolet s’est signalé comme professeur au Collège Romain, il n’est pas moins remar quable par ses commentaires sur l’évangile de saint Jean et sur l’épi ! re aux Romains. Salmeron, théologien pontifical au concile de Trente, s’est immortalisé par ses vastes travaux exégéliques sur le Nouveau Testament, Commentarii en onze volumes in- 1°. Madrid, 1598-1602. Si Maldonat eut tant de vogue., Paris, comme professeur de théologie au collège de Clermont, à cause de son mode d’enseignement nouveau et plus pratique, il s’est acquis un renom plus
- encore par ses Commentarii in quatuor Evan
gelia, Pont a Mousson, l.V.)0- ! >7.
côté ou a la suite de ces trois grands espagnols, combien de noms d’exégètes marquants leur paj s nous fournirait, si pareil inventaire rentrait dans notre
ujet. L’effort et le résultat fut tel, que Scheeben a nu pouvoir dire, op. cit., t. i. p. 695 : i L’exégèse prit des le débul un essor si remarquable, principalement
les jésuites d’Espagne, qu’il resta peu de chose a
faire dans la période suivante. Le mouvement ne fut
pas exclusivement propre à un pays ; en plusieurs autres, à la même époque, apparaissent des exégètes de valeur : en Italie. Benoît.lustiniani ; en France, Jean i iiiimi’ii Belgique, Jacques Bonfrère, Cornélius à La pldejen Allemagne, Vdam Contzen, Nicolas Serarius,
lorrain de naissance. Voir Vigouroux, Dictionnaire de la Bible, art. Jésuites (travaux des) sur la sainte Écriture, par le P. A. Durand, S. J., t. iii, col. 1403 sq.
L’activité des théologiens jésuites ne s’arrêta pas à la sainte Écriture. Le double but qu’ils avaient à poursuivre : corroborer les catholiques dans leur foi et combattre les erreurs contraires, leur imposait l’obligation de suivre les adversaires dans leurs attaques contre l’ancienneté et la stabilité des dogmes proposés par l’Église catholique. Dès lors il importait grandement d’utiliser les écrits des Pères et des auteurs ecclésiastiques, connue témoins des croyances primitives. Aussi, des la première édition de son catéchisme, paru en 1556 à Vienne, sous le titre de Summa doclrinæ christianw, le bienheureux Pierre Canisius ne se contentait-il pas d’indiquer en marge, les textes de la sainte Écriture ; il y joignait les principaux témoignages de la tradition patristique. Quand, plus tard, le P. Busæus (Pierre Buys) en donna intégralement le texte, ce fut comme une première ébauche de théologie patristique. Beaucoup marchèrent dans la voie ouverte, en suivant des sentiers différents. Les uns, comme Théodore Antoine, dit Peltanus, et Balthasar Cordier s’efforcèrent d’enrichir le dépôt traditionnel par des Catenæ ou collections de textes et de passages. D’autres, en plus grand nombre, publièrent des ouvrages inédits, des nouvelles éditions, des traductions de Pères ou d’écrivains ecclésiastiques. Nombreux furent ces ouvriers de second ou de troisième ordre qui, modestement et laborieusement, jetèrent leur pierre dans les fondements d’édifices appelés à prendre des proportions aussi grandioses que les A cta Sanctorum ou la Patrologia græca et latina, parue de nos jours.
Plus rares sont les représentants du droit canonique ; tel, en Allemagne, Paul Laymann († 1635), Jus canonicum, sive commentaria in libros Decrctalium, Dillingen, 1663-73. D’autres, comme Jean Buys, François de Torrès, Théodore Antoine, commencent à recueillir et à publier des textes conciliaires ou canoniques. Débuts bien humbles assurément, dépassés de beaucoup par les travaux postérieurs, mais n’en ayant pas moins la valeur de prémices et d’amorce. Beaucoup plus notables sont dès lors les études historico-patristiques, ducs en Allemagne à Jacques Gretser et en France à deshommes comme Fronton du Duc, Jacques Sirmond, Théophile Raynaud et, par-dessus tout, 1 lenis Petau, l’illustre auteur des Dogmata catholica, œuvre dont il parlait ainsi lui-même dans une lettre écrite en 1644, au P. Mutins Vitclleschi : « Je n’ai pas suivi, dans ce traité des choses divines, le chemin battu de la vieille école ; j’ai pris un chemin nouveau et, je le puis dire sans orgueil, un chemin où jusqu’ici personne n’avait encore posé le pied. Mettant de coté cette théologie subtile, qui marche, à l’exemple de la philosophie, a travers je ne sais quels dédales obscurs, j’en ai fait une, simple, agréable, sortant comme un fleuve rapide de ses sources pures et natives qui sont l’Écriture, les Conciles et les Pères, et, au lieu d’un visage hérissé et presque barbare qui fait peur, je lui ai donné une physionomie polie et aimable qui attire. » L’hyperbole mise à part. Petau enrichissait l’Église catholique d’une discipline nouvelle et pleine d’avenir : la théologie historien patristique.
Vers la même époque, un jésuite belge leP. Jean Bollandus († 1655), commençait à réaliser le projet que le P.HérlbertRoswoyde avait conçu le premier, de réunir en un vaste recueil les documents relatifs aux vies des saints. Acta sanctorum. Comme ouvrier de la première heure et comme organisateur de la bibliothèque et des archives, Jean Bollandus mérita de donner son nom à l’illustre société qui continua l’œuvre et qui eut l’honneur de compter parmi ses pri miers membres à coté du fondateur, des érudits tels que Godefroid Henschlus