instant compromise, était des lors assurée, puisqu'à Israël s’adjoindraient les nations Toutes les difficultés néanmoins n'étaient pas aplanies : là où les communautés chrétiennes étaient composées exclusivement de convertis du judaïsme, ou uniquement d’incirconeis, aucune complication n'était à craindre. Mais dans les localités où les deux éléments étaient mêlés, quels allaient être les rapports de ces deux catégories de croyants ? L’observation fidèle des défenses, par lesquelles les apôtres et les presbytres de Jérusalem restreignaient la liberté des gentils, n'était pas suffisante pour permettre à ceux qui tenaient encore strictement à la Loi de communiquer avec eux : trop d’obstacles les séparaient, surtout lorsqu’il s’agissait de prendre des repas en commun. Il suffit d’ouvrir l'Évangile pour saisir sur le vif la répugnance des pharisiens à manger avec des gens légalement impurs. Or la fraction du pain se célébrait à la suite d’agapes fraternelles. Les chrétiens circoncis devront-ils donc tenir à l'écart, dans cet acte le plus important du culte, leurs frères incirconcis, impurs à tant de titres ? Ou seront-ils exposés à enfreindre la Loi, à encourir des impuretés légales, en se mêlant à eux ? Traiterontils ceux de la gentilité comme des chrétiens d’un rang inférieur, sinon comme des parias, alors que tous sont les disciples du Christ ? Situation angoissante pour des âmes de bonne volonté, qui sont mises dans l’alternative de violer la loi, ou de manquer à la charité fraternelle ! Un conflit devait se produire. Il eut lieu à Antioche. Son apaisement donnera une nouvelle solution au problème judéo-chrétien.
2° Le conflit d' Antioche entre saint Pierre et saint Paul (Gal., ii, 11-21).
1. La cause du conflit.
La paix fut en effet de nouveau troublée à Antioche, par l’entrée en scène de certains personnages dont Paul affirme qu’ils venaient de Jérusalem, èX0sîv -nvàç àrcô 'Iaxwêou. D’après Cornely, ces Tivèç àizb 'Iaxo)60u faisaient partie de l’entourage de Jacques, ils étaient ses familiers, comme lui zélateurs de ! a Loi, sed ab eo in totius quirstionis intelligentiam nondum eranl introducti. Comment, in S. Pauli Epist., t. iii, p. 446. Us seraient donc venus sans mission, et auraient mal rendu les idées du chef de l'Église hiérosolymitaine. Il est difficile, en suivant cette interprétation, qui est également celle du P. Lemonnyer, Épîlres de saint Paul, I" partie, p. 64-65, et du P. Prat, La théologie de saint Paul, t. i, p. 79, d’expliquer l’autorité et l’influence de ces personnages, qui en arrivent à intimider Pierre et Barnabe. Il est préférable de rattacher à.it6 à è>.6sïv, comme le font, à la suite de saint Augustin et de saint Jean Chrysostome, plusieurs modernes. Cf. Toussaint, Épîlres de saint Paul, 1. 1, p. 194 : Lagrange, Épiire aux Galates, p. 42. Ces gens viennent de la part de Jacques ; ils sont envoyés par lui. Sans doute Jacques n'était pas le chef de l'Église ; mais il s’occupait spécialement avec Pierre des Églises judéochrétiennes. Il avait très bien pu apprendre les relations étroites qui s'établissaient à Antioche entre les convertis du judaïsme et ceux de la gentilité. Moins large que Pierre dans la question judéo-chrétienne, demeuré fidèle observateur de la Loi, il pouvait difficilement admettre que les judéo-chrétiens d’Antioche s’affranchissent des prescriptions légales au point de prendre leurs repas avec les pagano-chrétiens : les restrictions imposées à ces derniers lors de l’assemblée de Jérusalem n'étaient pas suffisantes à ses yeux pour autoriser un tel contact, où il était impossible que toute la Loi fût observée. Sans donc penser faire une opposition directe à saint Paul, à qui il avait laissé toute liberté pour son apostolat auprès des gentils, Jacques veut du moins maintenir les communautés judéo-chrétiennes, dont il a la charge, dans le respect
de la Loi, et il envoie dans ce but une mission à Antioche.
Que prétendaient ces personnages ? Il ne faut pas les confondre avec les faux frères qui avaient déjà troublé les Églises fondées hors de la Palestine, Act.. xv, 24, et qui voulaient imposer le joug de la Loi aux païens convertis. Venant de Jacques, surtout s’ils étaient envoyés par lui, ils ne pouvaient avoir des idées aussi intransigeantes et aussi contraires à la récente décision de Jérusalem. En somme, pense Cornely. les judaïsants de Jérusalem avaient depuis lors modifié leur attitude. S’appuyant sur le décret apostolique ils pensaient que les convertis du paganisme étaient vis-à-vis des judéo-chrétiens dans une situation semblable à celle qu’occupaient vis-à-vis des juifs les prosélytes, qui n’avaient pas accepté la circoncision. S’autorisant de la pratique des apôtres qui continuaient d’observer la Loi, ils prétendaient que cette dernière était obligatoire pour les juifs, qu’elle constituait pour eux une plus grande perfection, que par suite les pagano-chrétiens devaient s’y soumettre, s’ils ne voulaient pas demeurer à un rang inférieur dans le peuple chrétien. Op. cit., p. 364. On ne voit pas cependant que l’action des émissaires de Jacques se soit directementexercée sur les gentils : ils interviennent uniquement auprès des juifs convertis, pour les ramener à l’observation intégrale de la Loi. Car, pour eux, chrétiens de la circoncision, celle-ci n’a rien perdu de sa force obligatoire. Dans l’attachement de ces personnes aux prescriptions légales, il semble bien qu’il y eût autre chose qu’une idée de perfection. La Loi était pour elles, non pas seulement une règle morale et religieuse, mais comme une charte politique, qui faisait des juifs un peuple à part, le peuple élu de Dieu. A une époque où les espérances messianiques étaient très vives, il était difficile, même à des juifs convertis, de renoncer complètement aux anciens rêves nationalistes. Sans doute, ils avaient reconnu le Messie en Jésus de Nazareth. Mais ce Messie, mort sur la croix, avait annoncé qu’il reviendrait dans sa gloire. Ne serait-ce pas alors qu’aurait lieu la restauration tant désirée d’Israël, gouverné par le Roi-Messie ? Ne convenait-il pas, n'était-il pas nécessaire, pour cet avènement, que beaucoup espéraient prochain, de demeurer fortement attaché à la nation élue par une inviolable fidélité à tous les préceptes que Dieu avait imposés ?
C’est bien cet état d’esprit que nous constatons à Antioche : sans remettre en question ce qui a été jugé, des chrétiens ne veulent rien laisser tomber de la Loi pour les convertis de la circoncision. Des autres, ils ne s’occupent pas. C’est l’affaire de Paul. Leur intervention, appuyée par l’autorité de Jacques qu’ils revendiquaient, ramena dans la stricte observance des pratiques traditionnelles un nombre considérable de chrétiens. Pierre et Barnabe se laissèrent, sinon convaincre, du moins intimider. Pierre, en effet, qui se trouvait à Antioche, y avait vécu en gentil, sans se soucier des impuretés légales, qu’il aurait pu contracter en mangeant avec les païens. Gal., ii, 12. Sous la pression des nouveaux venus, il recommença à vivre en juif. Une pareille attitude des judéo-chrétiens, la défection de Pierre et de Barnabe devaient atteindre indirectement leurs frères de la gentilité ; on exerçait sur eux une contrainte morale très puissante, puisqu’elle venait d’autorités incontestées. S’ils voulaient continuer à communiquer avec le chef de l'Église, prendre part avec lui et les autres membres de la communauté chrétienne au repas eucharistique, ils devaient se plier aux exigences juives. S’ils acceptaient cette sorte d’excommunication, ils constitueraient en fait une Église à part, une Église inférieure. N'était-ce pas porter une nouvelle atteinte à leur liberté, mettre en péril l’unité de l'Église ? Paul ne pouvait demeurer