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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 8.2.djvu/163

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JUGEMENT, DONNEES DE L’ÉCRITURE : ANCIEN TESTAMENT


voit apparaître ces formules que le christianisme adoptera comme l’expression aussi simple que profonde de son idéal. Jahvé est un Dieu « qui ne fait point acception de personnes. > Deut., x, 17, et qui rend à chacun selon ses œuvres. I Reg., xxvi, 23. Toute l’histoire des Juges est la preuve qu’on croyait en Israël au fonctionnement régulier de cette justice, qui s’exerçait en harmonisant la situation du peuple avec son attitude envers Dieu.

Chez les prophètes, ces germes s’épanouissent en énoncés formels, qui forment un des traits les plus caractéristiques de leur monothéisme moral. Jahvé est le maître souverain qui dispose à son gré la marche du monde et de l’histoire humaine. Son action providentielle n’est pourtant pas arbitraire : il est le Dieu saint qui aime le bien et déteste le mal, le Dieu juste qui récompense l’un et punit l’autre. Cette justice est la norme de son gouvernement envers les peuples étrangers. S’ils sont frappés, c’est à cause de leur méchanceté, disait le Deutéronome, ix, 4-6, et redisent à leur tour les Prophètes. Cf. Am., i, 3 ; ii, 4. Mais la même règle s’applique également à Israël : ses crimes recevront leur châtiment, ibid., ii, fi, et son élection elle-même ne sera qu’un titre de plus à la divine sévérité. Ibid., iii, 2.

En un mot, « la voie de Jahvé est un rempart pour l’intégrité : mais elle est une ruine pour ceux qui font le mal. Le juste ne chancellera jamais : mais les méchants n’habiteront pas le pays. » Ces maximes des Proverbes, x, 29-30, résument bien la prédication des prophètes et la foi religieuse de tout Israël. Pour n’avoir pas encore reçu tout son dévelopju ment, le principe capital de la justice divine n’en est pas moins formelle nient posé.

2. Conditions de son exercice. — Mais l’applicat ion en est conditionnée par un certain nombre de conceptions connexes, qui furent toujours vivaces en Israël et plus que jamais actives aux premiers jours de Eon histoire.

D’une part, le plan de la Providence est plutôt orienté vers la nation que vers les individus. C’est le résultat de l’alliance : Jahvé a choisi Israël peur son Peuple et Israël l’a choisi pour son Dieu. Aussi est-ce je peuple comme ensemble qui reçoit ses promesses et qui devient désormais dans le monde solidaire de l’honneur de son nom. De là découle une double conséquence : c’est que les destinées de la communauté passent au premier plan et que celles de l’individu lui sont subordonnées, sinon sacrifiées : c’est aussi que le principal champ d’action de la justice divine reste le monde présent, le seul où l’existence nationale d’Israël, tant pour lui que pour les autres, compte comme une réalité.

Une certaine sociologie appuie et complète cette théodicée. En Israël comme dans tous les peuples primitifs, l’importance de la personnalité s’efface devant celle du groupe. Il existe une profonde solidarité, une sorte d’unité morale entre le chef de famille et son entourage ou sa descendance, d’une manière plus générale entre le chef et les membres de la tribu. Parce qu’ils ont besoin les uns des autres, ils sont faits pour prospérer ou péricliter, pour jouir ou souffrir les uns pour les autres, les uns par les autres. Et cette notion solidariste de la vie contribue également à maintenir dans les horizons terrestres l’action de la Providence.

L’anthropologie achève de l’y fixer. Malgré le spiritualisme fondamental inclus dans le récit de la création, (an., i, 20-27, le judaïsme n’eut jamais qu’une Idée très Imparfaite de l’Ame. Ses pensées spéculatives, et plus encore ses instincts pratiques, vont à l’homme concret, et là est la raison du fait bien connu qu’il n’eut jamais qu’un attrait médiocre pour les biens

proprement spirituels. Il s’ensuit que les bénédictions ou malédictions divines doivent se traduire en réalités présentes et sensibles. Quant à la mort, si elle ne détruit pas entièrement l’être humain, elle le place dans un état inférieur. L’existence d’une autre vie ne fait aucun doute pour l’Israélite ; mais, à l’instar des autres Sémites, il conçoit le défunt, dès là qu’il est privé de son corps, comme une ombre pâle et diminuée. En conséquence, la vie future n’offre pas d’intérêt et ne peut surtout pas offrir de sanctions. « Tout ce que ta main peut faire, fais-le dans ta force ; car il n’y a ni action, ni réflexion, ni science, ni sagesse au séjour des morts. » Eccl., ix, 10.

Il faut avoir présentes à l’esprit ces notions générales de la pensée juive pour comprendre comment pouvait se poser et se résoudre pour elle le problème de la justice de Dieu.

2° Application de la justice : La loi de rétribution individuelle. — Elle s’applique d’abord dans l’ordre individuel.

1. Base psychologique.

- Parce que fait à l’image de Dieu, l’homme est un être conscient et moral. Du moment qu’au paradis Dieu lui intime un précepte avec menaces à l’appui, Gen., ii, 16-17, c’est dire que la créature raisonnable est considérée comme libre et responsable. Même après la chute, Caïn a dans sa volonté la force de dominer ses mauvais instincts. Jbid., iv, 7. Les punitions qui suivent dans un cas et dans l’autre attestent que cette responsabilité n’est pas un vain mot et que Dieu la consacre par des sanctions effectives. Il est inutile de prolonger l’enquête sur une idée aussi élémentaire et aussi nettement aflirméc dès le premier jour. « Rien sans doute de plus clair chez les Juifs que l’idée de rétribution. Leur concept de la justice divine est trop parfait, leur idée de la taule est trop morale, trop au-dessus du concept de l’infraction rituelle, pour qu’ils n’aient pas l’idée de récompense et de châtiment : autant le Juif croit en Dieu, autant il croit en un Dieu rémunérateur. » J. Touzard, Reuue biblique, 1898, p. 215.

2. Vie future.

Mais les conceptions hébraïques de la vie future ne permettaient guère de situer cette rémunération dans l’au-delà. Tous les morts se rendent uniformément au scheol, qui sera désormais leur séjour définitif. C’est un lieu souterrain, qu’on se figure comme un gouffre immense qui s’étend dans les profondeurs de la terre. La lumière du jour n’y parvient pas, Job, x, 21-22 ; en conséquence, c’est un lieu de ténèbres et de confusion semblable au chaos. Non seulement les défunts y sont privés des joies du soleil et de la vie, mais ils n’ont même plus la consolation d’adresser à Dieu leurs louanges. Ps. xxx, 10 ; lxxxviii, 12-13 ; cxv, 17. Aussi le scheol est-il un lieu redouté que les meilleurs voient venir avec épi uvante. IV Reg., xx, 1-3 ; Is., xxxviii, 10-20 ; Ps., vi, 2-6.

Ce n’est donc pas là qu’il faut chercher les sanctions . « Après le trépas, le Juif ne voit plus de récompense ni de châtiment. Le séjour des morts est essentiellement égalitaire. Rons et méchants s’y rencontrent dans une commune infortune : il n’existe aucune trace précise de différence. » Il est question de deux hommes seulement, Ilénoch et Élie, que Dieu enlève au ciel, Gen., v, 14 et IV Reg., ii, 11 ; « mais ces deux cas sont tellement exceptionnels qu’on ne saurait regarder le sort de ces saints personnages comme la destinée commune des justes. » J. Touzard, loc. cit.. p. 216. Comme tant de peuples anciens, Israël a commencé par n’établir aucune lien entre la croyance à la survie cl l’idée morale de rétribution. Voir IsAIE, ci-dessus col. 47-48.

On a cherché souvent à expliquer cette conception archaïque par les attaches ethniques du peuple hébreu. « Les idées eschatologiques des Juifs et celles des