1781
- JUGEMENT##
JUGEMENT, PÈRES GRECS : IVe-VIIie SIÈCLES
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IV. PÉRIODE DEFIXATIOX-.IV’-VIll* SIÈCLES — Sur
les bases ainsi aménagées, la théologie du jugement allait prendre rapidement, à partir du ive siècle, bien que d’une manière inégalement ferme suivant les régions, son assiette définitive. Non pas qu’elle occupe nulle part une place de premier plan, mais, si elle reste à l’état fragmentaire, tout au moins se présentet-elle, en général, avec la netteté qui lui manquait jusqu’alors.
1° Église syrienne.
A défaut d’une grande importance
historique ou théologique, les écrivains de langue syriaque ont l’avantage d’offrir une tradition sans contact avec la pensée grecque. Ils n’intéressent la doctrine du jugement, que par la survivance d’archaïsme dont ils sont les témoins.
1. Aphraate.
« De toutes les parties de la théologie d’Aphraate la pins archaïque est assurément l’eschatologie. » Tixeront, Hist. des dogmes, t. ii, p. 207. Chez lui, l’archaïsme va même jusqu’à l’erreur. Le < sage perse » enseigne, en effet, au nom de « notre foi » que la mort est un sommeil. « Ceux qui y sont tombés sont tellement assoupis qu’ils ne distinguent plus le bien du mal ; ni les justes ne reçoivent la récompense promise, ni les impies le châtiment mérité, jusqu’à la venue du juge qui placera les hommes à droite ou à gauche. » Tout au plus l’avenir se révèle-t-il aux justes comme dans un rêve joyeux et au pécheur sous la forme d’affreux cauchemars. Dcmonstr., viii, 18-20, Pair, syr., t. i, p. 394-398. Cf. xxii, G, p. 1002. Sans quoi le dogme de la résurrection lui paraîtrait compromis, vin, 3, p. 366 et 22-23, p. 402-403. Cf. vi, 14, p. 291-296. En quoi il faut bien reconnaître avec dom Parisot, Preef., iii, 15, ibid., p. lvi, qu’Aphraate se tient dans la ligne des premiers Pères de l’Église, mais à condition d’ajouter qu’il la pousse jusqu’à un point qu’elle n’avait encore jamais atteint. Voir Aphraati :, t. i, col. 1462, et P. Schwen, Afrahat, Berlin, 1907. p. 138-140.
Une autre particularité du « sage perse « s, et dont nous retrouverons ailleurs les suites, c’est que, pour lui. « les justes consommés dans les bonnes œuvres ne seront pas convoqués au jugement pour y être jugés, ni les impies dont les péchés se sont multipliés au delà de toute mesure. » xxii, 17, p. 1026. Il faut sans doute entendre sous le bénéfice de cette réserve ce qu’il dit plus haut du jugement universel, viii. 20. p. 398. Tous les autres y comparaîtront pour y recevoir selon leurs œuvres et l’auteur insiste longuement sur la stricte justice qui aura pour conséquence l’inégalité des sanctions, xxii, 18-23, p. 1027-1035.
2. Saint Éphrem.
Beaucoup moins arriéré, celui-ci est loin d’être encore au niveau des progrès obtenus de son temps. « Que si nous passons à la doctrine eschatologique du moine syrien, écrit M. Tixeront, op. cit., p. 219220, nous sommes dès l’abord frappés d’une contradiction qu’elle semble présenter sur la condition des âmes justes immédiatement après la mort. D’un côté, saint Éphrem enseigne que ces âmes entrent de suite dans la vie, dans la joie, dans le paradis, dans le ciel, Opéra omnia, syr.-lat., édition Assémani, Rome. 1737-1746, t. iii, p. 251 I. 255 c, 225e ; Hymni et Sermones, édition Lamy, Malines, 1882-1889, t. i. p. 669 ; Carmina Nisibena, lxxiii. 1 : de l’autre, il dit non moins clairement que sans le corps ces âmes sont incapables d’exercer leurs facultés, de voir, d’entendre, de parler : d’où il conclut que, jusqu’à la résurrection de leur corps, leur bonheur est fort incomplet et qu’elles n’habitent pas encore le lieu de la félicité parfaite. > Assémani, t. iii, p. 587 b-I. C’est la conception archaïsante du iie siècle qui dure encore chez lui. Seulement, au lieu de l’Hadès. Éphrem parle du paradis. <OÙ il distingue le sommet, les côtés et le bord, celui-ci
étant réservé aux pénitents pardonnes et sans douct également à toutes les âmes justes. Voir art. Éphrem t. v, col. 191-192 ; Assémani, Op. syr.-lat., t. iii, præf.. p. xxi et Lamy, 1. 1, proef., p. xi.
A cette eschatologie retardataire notre auteur associe une notion assez nette du jugement particulier. Pour décrire les affres de la mort, il parle de la vie sensible qui s’éteint, cependant que les « troupes du Seigneur » envahissent l’âme pour la faire déguerpire r. que « l’inexorable nous traîne au jugement ». Au cours de cette marche forcée, l’âme traverse les espaces où elle rencontre « les principautés et puissances, les chefs des troupes ennemies en ce monde, accusateurs sans pitié, agents rigoureux d’un fisc implacable, qui brandissent contre elle les créances de ses péchés ». Ir. secundum Christi adven’um, dans Assémani, Op. græclat. , t. iii, p. 275-276. On voit que les brillantes imaginations d’Origène ont déjà fait école jusqu’en Syrie.
Cependant, pour saint Éphrem, c’est le jugement dernier qui demeure le principal. A la suite d’Aphraate. il n’y veut faire comparaître que les pénitents et les justes imparfaits : les justes parfaits sont « au-dessus du jugement, » les grands pécheurs ont déjà leur condamnation et restent par suite « en dehors du jugement ». Assémani, Op. syr.-lat., 1. 1, p. 255. Les descriptions qu’il en donne sont d’un réalisme très accusé et visent surtout au pathétique. Voir Assémani, t. m. p. 633-638 ; græc.-lat., t. ii, p. 192-230 et Lamy, t. m. col. 133-212 et t. ii, p. 402-426.
Quand les maîtres de la théologie syriaque ont des conceptions aussi imparfaites, est-il étonnant que les générations suivantes en aient gardé l’empreintee r que, le particularisme et l’ignorance aidant, elles aient fini par accueillir cette vieille erreur du sommeil des âmes ou autres approchantes, qui motivèrent l’intervention de l’Église à partir du concile de Lyon ?
2° Église grecque.
- C’est ici, au contraire, le règne
de la grande théologie, et d’une théologie qui se développe sous l’influence d’Origène, sinon toujours à soit école. La doctrine du jugement en a largement bénéficié.
1. Principe du jugement.
S’adressant à des milieux chrétiens, les Pères Grecs n’ont pas proprement besoin de démontrer l’existence du jugement. Cependant, soit pour répondre au scandale des âmes faibles troublées par les injustices de ce monde, soit surtout pour parer au scepticisme pratique de certaines âmes grossières trop inattentives aux vérités spirituelles, ils en affirment, à l’occasion, la réalité et en dégagent In raison d’être.
a) Réalité du jugement. — Saint Cyrille de Jërusalen : en appelle au sentiment individuel de la justice-. Un maître a souci de récompenser ses bons serviteurs et de punir les autres : à plus forte raison la justice rétributive, tô ttjç S’.Koao-ûvyjç àvTaTCoSoTixôv, doit-elle exister en Dieu. Or elle ne se réalise pas ici-bas. « Si donc il n’y a pas de jugement et de rétribution après cette vie, tu accuses Dieu d’injustice. » Le retard s’explique parce que Dieu veut, comme on le voit dans les combats du stade, attendre la fin de l’épreuve. Cat., xviii, 4. P. G., t. xxxiii, col. 1021.
On retrouve souvent la même argumentation chez saint Jean Chrysostome. « Si Dieu est, comme il est en réalité, il s’ensuit qu’il est juste ; car s’il n’est pas juste, il n’est pas Dieu non plus. Et s’il est juste, il rend à chacun selon ce qu’il mérite. Cependant nous voyons que tous ne reçoivent pas ici-bas selon leurs mérites. 1 faut donc nécessairement espérer une autre rétribution, qui rendra à chacun suivant son mérite et par là fera apparaître la justice de Dieu. » > De diab., hom. r, S, P. (i.. t. xlix, col. ti.’jS. Cf. De Lazaro, hom. iv, t, t. xi. viii, col. 1011. 1) ce jugement la voix implacable de la conscience est une première anticipation, qui est