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    1. JUSTICE ORIGINELLE##


JUSTICE ORIGINELLE, PROBLÈME THÉOLOGIQUE

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bono quo factus fuerat rectus, acceperal posse non peccare. .. datum est adjulorium perseverantiee non quo fierel ut perseveraret, sed sine quo per liberum arbitrium perseverare non posset. De correplione et gralia, c. xi, n. 32 ; xii, n. 34, P. L., t. xliv, col. 935, 936. « Si l’on rapproche ces paroles de la conception augustinienne de la nature, à savoir que la nature telle qu’elle a été créée dans la rectitude est la vraie nature humaine, il semble légitime, à notre avis, de concevoir cette rectitude, non pas comme proprement et substantiellement surnaturelle, mais comme un don spécial surajouté, qui n’élevât pas à l’ordre surnaturel, comme le ferait la grâce sanctifiante. La justice originelle est donc réellement distincte de la grâce. » Kors, op. cit., p. 14. Vouloir aller plus loin serait peine inutile, et déjà peut-être les précisions que l’on vient de donner introduisent-elles dans la pensée d’Augustin des nuances trop accentuées.

Saint Anselme.


La théologie de saint Augustin règne en maîtresse jusqu’au xie siècle. A cette époque, saint Anselme introduit dans l’enseignement catholique une direction, non point opposée à celle d’Augustin, mais plus rationnelle et partant d’un point de vue plus personnel. Dieu ne pouvait créer une nature raisonnable qui ne fût pas juste, autrement la qualité de raisonnable n’aurait plus de sens, la raison nous étant donnée pour discerner le bien du mal. CurDeus homo, t. II, ci. Or, pour être juste, la volonté de la créature raisonnable doit être soumise à la volonté de Dieu : c’est là le devoir, quod solvendo nullus peccat, et quod omnis, qui non solvit, peccat. Id., t. I, c. xi, P. L., t. clviii, col. 399, 376.

1. Concept de la justice originelle. —

Tandis qu’Augustin avait insisté surtout sur l’exemption de concupiscence, dans son concept de la justice originelle, Anselme marque que cette justice, conformément à la célèbre définition qu’il a donné de la justice : rectitude » voluntatis propler se servata, est exclusivement une vertu de la volonté : Voluntas jusliliæ est ipsa juslilia. De concordia præscientiæ Dei cum libero arbitrio, c. xiii, col. 538. L’usage de la raison est donc requis pour posséder la justice, quæ nec servari potest, nec haberi non intcllecta. De conceptu virginali, c. viii, col. 442. La concupiscence n’est de soi ni bonne ni mauvaise ; elle est injuste seulement parce qu’elle provient de la prévarication d’Adam, laquelle a rompu l’équilibre moral de la nature humaine. Cf. De conceptu virginali, c. iv ; De concordia præscientise Dei, c. vii, xin ; De nuptiis consanguineorum, c. v, col. 436, 529, 533, 559. L’intégrité, corrigeant la concupiscence, n’est donc qu’un effet de la justice, non la justice elle-même. Moins encore l’immortalité qui a sa cause au dehors, relève-t-clle de la justice : elle l’accompagne. Sur ces points, la formule anselmienne est toute augustinienne. Cur Deus homo, t. I, c. xviii ; t. II, c. xi, col. 383, 410. La justice d’Adam est dite originelle parce qu’elle a été reçue par le premier homme en même temps que sa nature. De conceptu virginali, c. i, col. 433. Mais qu’est-elle en elle-même ? Vertu d’ordre naturel, ou grâce sanctifiante ? Sur ce point, la pensée d’Anselme est obscure ; le principe de sa théorie, à savoir qu’une créature raisonnable ne peut être créée que juste, pourrait l’entraîner à des confusions regrettables. Voir Anselme (Saint), t. i, col. 1346-1347 ; Kors, op. cit., p. 27-28.

2. La justice originelle et la nature humaine. —

L’obscurité du concept anselmien de la justice originelle empêche qu’on puisse donner une solution ferme à la question des rapports de cette justice avec la nature. Si la justice n’est qu’une vertu naturelle de la volonté, elle serait due à la nature et, par là, tout au moins dans ses expressions, saint Anselme pourrait être rapproché de Baius. Le mot « grâce » qu’il emploie pour désigner la rectitude de la volonté, De conceptu virginali, c. x, xxiii, xxiv, peut être entendu en un sens très large, la création elle-même étant en ce sens une grâce. Toutefois, la grâce sanctifiante n’est pas formellement exclue et peut-être est-il encore possible d’interpréter en bonne part les assertions d’Anselme. De plus, grâce à la conception ultra-réaliste de saint Anselme, la nature, étant unique sous les multiples individualités, offre un moyen facile de transmission, soit de la justice primitive, soit du péché originel : Iota natura humana in Mis (parentibus) erat, et extra illos de Ma nihil erat. De conceptu virginali, c. n ; cf. Cur Deus homo, t. I, c. xviii, P. L., t. clviii, col. 434, 337. Anselme pense toutefois que si Adam avait résisté aux sollicitations du démon, la nature humaine, en lui et par conséquent en ses descendants, eût été confirmée dans la justice. Cur Deus homo, t. I, c. xviii, col. 387.

3° La justice originelle chez quelques théologiens antérieurs à saint Thomas. —

Nous nous arrêterons aux noms de ceux qui firent vraiment progresser la notion théologique de justice originelle. La tendance générale est la conciliation des idées de saint Augustin et de celles de saint Anselme. Le progrès théologique est dans le sens d’une distinction plus marquée entre le don surnaturel de la grâce et la justice « naturelle », c’est-à-dire la rectitude communiquée à la nature par les dons préternaturels.

1. Honorius d’Autun paraît faire de la justice originelle une simple rectitude naturelle de la volonté et, par la volonté, de tout l’homme soumis à Dieu ; cette rectitude est distincte, semble-t-il, de la grâce sanctifiante. Elucidarium, t. II, n. 11, 12 ; Inevitabile, P. L., t. clxxii, col. 1142, 1143, 1212.

2. Le progrès est plus marqué chez Hugues de Saint-Victor et dans la Summa Sententiarum, qui lui a été attribuée. Sur la question de l’origine, voir t. vii, col. 253, et compléter par les indications de M. Chossat, La Summa Sententiarum, œuvre d’Hugues de Mortagne, vers 1155, Louvain, 1924. La thèse d’Hugues sur la justice originelle et la grâce sanctifiante a été suffisamment exposée à l’art. Hugues de Saint-Victor, t. vii, col. 274-276. En distinguant nettement la justice originelle de la grâce sanctifiante et des vertus surnaturelles, au point de douter si Adam a jamais eu ces dernières dans l’état d’innocence, Hugues a eu le mérite de poser les deux termes dont la comparaison s’imposera aux théologiens postérieurs. Mais il a obscurci le problème des rapports de la justice et de la grâce. Bien plus, en distinguant la justice originelle, vertu de la volonté, et la rectitude de la nature, il a singulièrement embrouillé la notion de la justice primitive. Quxstiones in epist. S. Pauli, Epist. ad Romanos, q. ci ; q. clxxiii, P. L., t. clxxv, col. 459, 474. La Summa Sententiarum serre de plus près la question, puisque, sans admettre qu’Adam ait reçu avec la justice originelle la grâce et les vertus surnaturelles, elle affirmî cependant que cette sanctification et cette élévation à l’ordre surnaturel se produisirent avant la chute, mais après la création. Pierre Lombard sanctionnera cette théorie de son autorité.

3. Pierre Lombard. —

Tout en restant fidèle disciple de saint Augustin, le Maître des Sentences suit fréquemment et précise la doctrine d’Hugues. Il distingue la justice originelle ou rectitude naturelle, due cependant à un don gratuit de Dieu, de la grâce sanctifiante et des vertus surnaturelles. L’homme fut créé dans la rectitude naturelle, qui lui permettait de ne pas pécher c’est-à-dire, selon l’adage alors attribué, à saint Augustin, de « se tenir debout ». La grâce — opérante et coopérante — ne vint qu’ensuite, permettant à l’homme de « mouvoir le pied », c’est-à-dire de mériter et de progresser dans le bien. Voir surtout, t. II, dist. XXII,