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JUSTIFICATION, LA DOCTRINE DANS L’ANCIEN TESTAMENT


Il importe davantage de remarquer que l'état de justice, tel que l’envisage l’Ancien Testament, se trouve encadré dans une économie religieuse très positive et supposée d’ordre surnaturel, à laquelle il est intimement relié. Inaugurée au Paradis terrestre, cette économie a pris sa forme propre lors de la vocation d’Abraham et trouvé son organisation complète dans la législation mosaïque. L’Israélite y est introduit par la circoncision. Il y devient héritier des promesses faites à Abraham, dont la foi doit passer en lui. Membre du peuple élu, il vit désormais sous la Loi mosaïque et bénéficie avec tous ses frères d’un gouvernement spécial de Dieu. Il s’achemine ainsi vers la réalisation de la grande promesse messianique, objet de son espérance. L'état de justice se définit en fonction de tout cela et se trouve conditionné par tout cela. En gros, c’est l'état de l’Israélite circoncis, qui croit en Dieu, qui observe la Loi, qui vit dans l’attente du Messie et qui, ce faisant, s’assure des titres certains à la bienveillance de Dieu et se range, de plein droit, parmi ceux qui auront part au salut.

Comment s’acquiert la justice.

L’Ancien Testament ne distingue pas, comme le fera plus tard saint

Paul, la première acquisition de la justice du développement subséquent de la vie dans la justice. Il considère l'état de justice et la justification en gros et en bloc. Cela fait une notable différence. A proprement parler, l’Ancien Testament ne nous fournit pas une doctrine précise de la justification au sens de saint Paul. Nous retrouvons ici la même indétermination que l’absence d’une notion explicite du péché originel a laissé subsister dans la conception de l'état initial de non-justice. D’ailleurs, tout cela se tient. Sous le bénéfice de cette remarque, relevons les facteurs divers auxquels l’Ancien Testament rapporte l’acquisition et la possession de la justice.

Nous rencontrons d’abord toute une suite d’affirmations du type de celle-ci que saint Paul lui-même a rapportée d’après Lev., xviii, 5 : « Vous observerez mes lois et mes ordonnances ; l’homme qui les mettra en pratique vivra par elles. » Ce qu'Ézéchiel, xviii, 5 sq. commente en ces termes : « Si un homme est juste et pratique le droit et la justice ; s’il ne mange pas sur les hauts lieux et n'élève pas les yeux vers les idoles infâmes de la maison d’Israël ; s’il ne déshonore pas la femme de son prochain et ne s’approche pas d’une femme pendant sa souillure ; s’il n’opprime personne, s’il rend au débiteur son gage, s’il ne commet pas de rapines, s’il donne son pain à celui qui a faim et couvre, d’un vêtement celui qui est nu ; s’il ne prête pas à usure et ne prend pas d’intérêt ; s’il détourne sa main de l’iniquité et juge selon la vérité entre un homme et un autre ; s’il suit mes préceptes et observe mes lois, celui-là est juste ; il vivra, dit le Seigneur Jahvé. »

Un deuxième type de déclarations a été pareillement relevé par saint Paul d’après Habacuc, ii, 4 : Justus autem in fide sua vivet. La Genèse, xv, 6 nous offre de ce principe une application célèbre : Credidit Abram Deo et reputatum est illi ad justiliam, que saint Paul encore a largement exploitée. De façon générale nous voyons la foi jouer un rôle décisif dans la vie des Pères. La louange qui leur est décernée de ce chef, Hebr., xi, ne fait que traduire de façon explicite la pensée de l’Ancien Testament.

Enfin un troisième facteur apparaît en maintes pages de l’Ancieh Testament, par ex., Ps., cxliii (cxlii), 2 : « N’entrez pas en jugement avec votre serviteur, car aucun homme vivant n’est juste (Vulg. non justificabitur) devant vous. » Cf. Is., lix, 5 sq., lxiv, 5, etc. L’appel à la miséricorde de Dieu est fréquent, Ps., xxv (xxiv), 11 ; xxxii (xxxi), 1 sq., etc. En résumé, la doctrine de la justification n’a assurément pas dans l’Ancien Testament la précision qu’elle a prise chez saint Paul. Mais, si de l’un à l’autre il y a détermination croissante et approfondissement, l’on n’est pas fondé à parler d’antagonisme positif ni même de véritable hétérogénéité. La différence qu’on remarque entre eux semble tenir principalement au développement de la notion du péché originel dans saint Paul et à la distinction nette de la justification au sens de passage de l'état de péché à l'état de justice d’avec la vie subséquente dans la justice. L’on n’a cependant aucune peine à entrer dans la pensée de saint Paul qui assure que le régime institué par l’Ancien Testament était beaucoup moins favorable que le régime chrétien..


II. La théologie juive a l'époque néo-testamentaire. —

Le R. P. Frey, article cité, a étudié avec quelque détail la notion de péché originel dans la littérature juive du premier siècle de notre ère. Hénoch, Jubilés, Testaments des douze Patriarches, Assomption de Moïse, Hénoch slave, Philon, Josèphe, Johanan ben Zakkaï, Apocalypse de Moïse, IV Esdras, Baruch syriaque. Il conclut en ces termes : « Les écrits juifs du temps de Notre-Seigneur ne nous fournissent donc aucune attestation de la croyance au péché originel. S’ils conviennent le plus souvent que le premier péché a eu une répercussion fâcheuse sur le monde physique, qu’il en est résulté la mort et même, au témoignage surtout des apocalypses postérieures (IV Esdras, Baruch syriaque, Apocalypse de Moïse), une diminution des énergies morales, ils ne donnent point à entendre que l’homme soit constitué pécheur par le seul fait de sa filiation adamique, en d’autres termes que la mort spirituelle se propage d’Adam à toute sa postérité. L'élément essentiel du péché d’origine ne s’y rencontre donc pas. On peut ainsi s’expliquer, dans une certaine mesure, pourquoi les rabbins n’ont jamais entrevu dans le Messie, le Rédempteur spirituel, le nouvel Adam, qui dût, par ses souffrances et sa mort expiatoires, réparer les blessures morales que la désobéissance du premier Adam avait faites à l’humanité. » Loc. cit., p. 544 sq. ; cf. Lagrange, Éptlre aux Romains, p. 113, 118.

Pour ce qui regarde la justice et la justification, la théologie juive au I er siècle de notre ère, se résume dans ces quelques données caractéristiques.

Le rôle de la circoncision.

Il est clairement

exprimé dans le Livre des Jubilés, xv, 25 sq. : « Cette loi (de la circoncision) vaut pour toutes les générations à jamais. Il n’y a pas de circoncision du temps ni de possibilité de laisser passer un jour au delà des huit jours. Car c’est une ordonnance éternelle, prescrite et gravée sur les tables célestes. Et quiconque est né et dont la chair du prépuce n’a pas été circoncise le huitième jour n’appartient pas aux enfants -de l’Alliance que le Seigneur fit avec Abraham mais il appartient aux enfants de perdition ; il n’y a plus sur lui aucune marque qu’il appartient au Seigneur mais (il est destiné) à être détruit et anéanti de la terre, car il a violé l’Alliance du Seigneur notre Dieu… » Les rabbins pousseront cette doctrine jusqu'à enseigner que nul circoncis ne peut être précipité dans 1 a Géhenne tant que les traces de la circoncision n’ont pas été abolies en lui.

Le rôle de la foi.

Voici quelques textes qui

le mettent en relief : Ps. de Salomon, xvii, 45 : « Paissant le troupeau du Seigneur dans la foi et la justice, » (Il s’agit du Messie). — IV Esdras, vi, 28 : Florebil autem fides et vincetur corruplela ; vii, 34 : Judicium autem solum remanebil, veritas stabil et fides convalescet ; ix, 7 sq. : El eril, omnis qui salvus factus fuerit et qui poterit effugere per opéra sua et per fidem in qua credidit, is relinquetur de prædiclis periculis et videbit ; salulare meum in terra mea… xiii, 23 : Ipse