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JUSTIFICATION, LA DOCTRINE DANS SAINT PAUL


donum est, de la foi elle-même et il rappelle le mot de Phil., i, 29 : Yobis autem donutum est pro Christo, non solum ut in eum credatis, sed eliam pro eo patiamini. Ep. ad Eph., c. ii, lect. 3. J. E. Belser préfère dire simplement : « Que la foi elle-même ne soit pas purement notre œuvre personnelle, c’est ce que suppose l’ensemble de la construction, » Der Epheserbrief des Ap. Paulus, Fribourg-en-B., 1908, p. 57 ; cf. Prat, Lu théologie de saint Paul, t. ii, p. 289, qui tient cette nuance comme n’ayant qu’un intérêt secondaire, le canon 5 du concile d’Orange sur l’initiurn fidei et son interprétation d’Eph., ii, 8 étant, de l’une et de l’autre manière, justifiés.- — Intéressant aussi est Tit., iii, 5 : « Dieu nous a sauvés non à cause des œuvres de justice que nous avions faites, non ex operibus justitiee, -z&v èv Sixaioaùv-fl = faites en état de justice, mais selon sa miséricorde. .. afin que justifiés par sa grâce, nous devenions héritiers de la vie éternelle. » Ces œuvres « dans la justice » nous ne les avons pas faites, t. 3, ni ne pouvions les faire, n’étant pas en état de justice.

/II. la JUSTIFICATION. — Il nous reste à étudier l’acte même de justification dans saint Paul.

1° Sens possibles du mot justifier. — Pour l’exprimer saint Paul se sert, à l’actif et au passif, du verbe Sixaioûv. H. J. Holtzmann, traduisant le sentiment commun des exégètes protestants, a écrit : « Le verbe Sixouoùv désigne dans l’Ancien Testament, un acte judiciaire favorable à celui qu’il concerne, c’est-à-dire l’acte par lequel le juge déclare quelqu’un innocent. » Lehrbuch der Neuleslament. Théologie, t. ii, 2e édit., Tubingue, 1911, p. 141. C’est ce qu’on appelle le sensus forensis, c’est-à-dire le sens déclaratif judiciaire, qu’il ne faut pas confondre avec le sens déclaratif simple, c’est-à-dire non judiciaire. Beaucoup d’exégètes catholiques ont accepté cette opinion touchant le sens de Sixaioûv dans la Bible grecque. Le P. Prat continue de la tenir pour généralement exacte : « Nous admettons sans balancer, écrit-il, que la justification de l’homme éveille d’ordinaire dans l’Ancien Testament et même dans le Nouveau l’idée d’un jugement divin, qu’on peut du moins l’y découvrir sans faire violence aux textes (l’atténuation est sensible), que dans un petit nombre la justification est purement déclarative. Il en est ainsi, par exemple, toutes les fois qu’il s’agit du jugement final qui ne produit pas la justice en l’homme mais la présuppose… » L’on éprouve quelque peine à entendre ce qui suit, qui semble contredire la formule initiale : « Mais ce n’est pas le. sens ordinaire : ce qui le prouve, c’est l’impossibilité de remplacer, dans la plupart des cas, le verbe « justifier » par ses équivalents prétendus « déclarer juste » ou « traiter comme juste ». La théologie de saint Paul, t. ii, p. 297 sq.

Cependant le commentaire du P. Lagrange sur l’Épître aux Romains, publié en 1916’, a marqué sur ce point une vive et heureuse réaction. Au sentiment du savant exégéte, l’interprétation du Sixaioùv biblique comme signifiant une déclaration de justice prononcée parle juge représenterait une généralisation injustifiée C’est ce qu’il entreprend de faire voir en reprenant après P. Feine, Théologie des Neuen Testaments, Leipzig, p. 409 sq., mais pour aboutir à îles conclusions bien différentes des siennes, l’examen des quarante-cinq endroits des Sepl ante où paraît le verbe Sixaioûv.

Il est nécessaire de reproduire les grandes lignes de cette suggestive enquête.

Aixaioûv traduit pis à la voix hiphil : Ex., xxiii, 7 ; Dcut., xxv, 1 ; IlKcg., xv, 1 ; II I Kcg., vui, 31 ; Il Parai., vi, 23 ; Ps., i.x.xxii (î.xxxi), 3 ; Is., v, 23, L, H ; i.m, 1 1. Dans tous ces cas, le sens de : déclarer Juste en justice (sensus forensis) ne lait aucun doute, sauf pour Is., l, 8, où nous avons plutôt celui de : défendre en Justice, ce qui représente une nuance sensiblement différente.

Aixaioûv traduit la voix hitphaël du même verbe, Eccle., vu, 5 et, au passif, Gen., xliv, 16, avec le sens de : se justifier soi-même devant un juge. C’est toujours le sens judiciaire mais non point déclaratif. La voix piël de p-rs est rendue par Stxxioijv : à l’actif. Jer., iii, 11 ;

Ezech., xvi, 51, 52, avec le sens de : se montrer juste par comparaison à un autre qui se conduit plus mal ; au passif, Job, xxxii, 32, avec le sens de : se voir donner raison. Le sens proprement judiciaire n’apparaît plus.

Le qal de pis est rendu par Sixxio^aOai : Gen., xxxvi, 26 ; Ps., xix (xviii), 10 ; l(li), 4 ; cxliii (cxlii), 2 ; Is., xuii, 9, 26 ; xlv, 25, 26 ; XLn, 21. Dans tous ces cas, le sens déclaratif et, à plus forte raison, le sens forensique proprement dit, est étranger à l’hébreu. L’on est d’autant moins autorisé à le présumer pour le grec que le contexte ne s’en accommode point. On n’a pas assez pris garde à ces faits.

Lorsque Stxaioôv traduit nsr, nous avons pour

le qal, Michée, vi, 11, le sens de : être pur et pour le piël, Ps., lxxiii (lxxii), 15, celui de : rendre pur (cas unique dans l’Ancien Testament).

Le P. Lagrange examine à part les onze cas de l’Ecclésiastique que M. P. Feine a portés en bloc à l’actif du sensus forensis ou, à tout le moins, du sens déclaratif : vii, 5 ; ix, 12 (17) ; x, 29 (32) ; xiii, 22 ; xxxiv (xxxi) 5 ; xlii, 2, pour lesquels nous avons l’original hébreu ; i, 28 ; xviii, 1, 22 ; xxvi, 28 ; xxxiii, 14, pour lesquels nous ne l’avons pas. Le sens déclaratif n’est établi sûrement que pour x, 29 (32) et xlii, 2.

Les versions grecques, autres que celle des Septante font l’impression de traduire plus volontiers encore le qal de pis par le passif 81xouo’jo-0ai dans

le sens de : être juste. L’Apocalypse de Baruch, xxt, 9, 11, 12 ; xxiv, 1, 2 ; li, 3 ; iii, 7 ; IV Esdras, xii, 7 ; les Psaumes de Salomon ( qu’on allègue souvent en faveur de sensus forensis) ii, 16 ; iii, 5 ; iv, 9 ; viii, 7, 27, 31 ; ix, 3, suggèrent, s’ils ne l’imposent pas, le sens d’être ou de devenir juste. « On voit, conclut le P. Lagrange, combien il est peu exact de dire avec Sanday-Headlam que dans l’Ancien Testament le mot a toujours ou presque toujours un sens forensique ou judiciaire. » Ép. aux Rom., p. 128. L’on n’est donc pas fondé à aborder l’exégèse de saint Paul avec l’idée préconçue, et non vérifiée par les faits, que Sixxioôv était, dans la langue biblique, un mot technique signifiant la sentence favorable rendue par le juge au bénéfice d’un inculpé. Même le sens déclaratif large, c’est-à-dire non strictement judiciaire, n’a pas à être obligatoirement présumé, à défaut du sensus forensis proprement dit.

Il est un cas cependant où le sens forensique s’impose et c’est lorsque le verbe Stxoaoûv est employé dans un contexte eschatologique et pour signifier le jugement dernier. Or d’après M. A. Titius, Der Paulinismus unter dem Gesichispunkt der Seligkeil, Tubingue, 1900, p. 157 sq., la justification représente toujours dans saint Paul un acte messianique et donc d’ordre en soi eschatologique, M. K. Tobac, qui a très bien mis en valeur cette ingénieuse théorie, s’applique à justifier en ces termes l’équation : acte messianique = acte eschatologique, qui est à la base du système : « (’/est qu’avec le Christ le règne messianique est présent, le royaume a commencé, la communauté est là, existante, intimement unie à son chef, consciente des réalités qu’elle possède et des espérances qu’elle attend, se préparant à la parousie. Pour elle plus de jugement, ou plutôt le jugement a eu lieu déjà : elle est justifiée. Du côté de Dieu, tout est fait ; il dépend d’elle de conserver celle Justification et de la voir ratifiée au jugement final de Dieu. On dirait qu’à certains moments le présent et le futur se confondent pour saint Paul