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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 8.2.djvu/360

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JUSTIFICATION, LE MOYEN AGE, SYSTÈMES D’ÉCOLE


addition caractéristique : Facienti quod in se est Deus injallibiliter dat graiiam.

Mais cette infaillibilité signifie seulement la continuité du plan divin et s’entend, comme chez Scot, d’actes accomplis avec les secours généraux de la Providence, par opposition à la grâce proprement surnaturelle. Témoin ces formules de Biel, qui en cela se réfère expressément à Alexandre de Halès : Qui removel obicem, qui est consensus in peccatum, et eliciendo per liberum arbitrium molum in Deum, bonum facil quod in se est, ultra enim ex se non potest, suppo SITA SEMPER GENERALI INFLUENTIA DEI SIM qud

omnino nihil potest… Hsec facienti Deus graiiam suam tribuit necessario, necessitaie non coactionis sed immutabilitatis. Textes réunis avec d’autres non moins formels dans Altenstaig, Lexicon theologicum, Anvers, 1576, ꝟ. 109-110, art. Facere quod in se est. On voit que la part nécessaire de Dieu dans l’œuvre du salut reste suffisamment sauve et que l’homme ne peut par lui-même rien mériter que de congruo.

Ainsi donc, jusque dans la hardiesse de ses spéculations et sa confiance dans les forces du libre arbitre, l’école nominaliste respectait les données du christianisme traditionnel. On peut discuter ses théories,

— et la théologie catholique ne s’en fit jamais faute — constater historiquement l’influence qu’elles ont pu avoir sur les origines de la Réforme ; mais il serait contre toute justice de la mettre en opposition avec la foi.

3° École augustinienne. — A côté de ces écoles classiques, peut-être faudrait-il faire place à une autre, moins aperçue jusqu’à présent, moins déterminée surtout, sur laquelle de récentes recherches ont attiré l’attention : savoir l’école augustinienne, ainsi dite à cause de l’attachement qu’elle portait aux principes de l’évêque d’Hippone et aussi à cause du crédit qu’elle semble avoir eu dans l’ordre des augustins. Voir J. Paquier, dans Recherches de science religieuse, 1923, p. 293-313, 419-437, et Revue de philosophie, 1923, t. xxiii, p. 197-208.

1. Existence.

C’est un fait connu de tous qu’au concile de Trente le général des augustins, Jérôme Séripando, se fit le défenseur ardent d’une théorie dite de la double justice. Voir plus bas, col. 2183 sq. Elle consiste à dire que la justice intérieure à laquelle l’homme peut aboutir est absolument insuffisante aux yeux de Dieu et que nous ne sommes vraiment justifiés que par l’application extérieure que Dieu nous fait des mérites du Christ. Doctrine qui suppose une appréciation très pessimiste des œuvres et mérites de l’homme, en conformité avec les vues de saint Augustin sur la corruption de notre nature, et tend à développer une conception de la grâce à la fois nominaliste et mystique, mais toujours opposée à cet habitus intérieur qui était admis dans l’École.

Or de nombreux théologiens, augustins et autres, surtout de nationalité italienne, adhérèrent aux théories de Séripando. Des historiens hostiles au catholicisme se sont déjà prévalus de ce fait pour imaginer dans l’Église une ancienne tradition favorable à la Réforme, par exemple Alph. Vict. Millier, Luthers theologische Quellen, Giessen, 1912, p. 176-178, et, plus tard encore, dans Theol. Sludien und Kriliken, 1915, p. 154-172 ; Luther und Tauler, Berne, 1918, p. 9-14 ; Luthers Werdegang bis zum Turmerlebnis, Gotha, 1920, p. 103-114. Mais ces affirmations laissent également sceptiques, parce que trop généralisées, des historiens protestants, tels que W. Kôhler, Zeilschrift fur Kirchengeschichte, 1918, t. xxxvii, p. 21-22, et des catholiques comme M. Grabman, Der Katholik, 1913, p. 157-164 ; H. Grisar, Luther, Fribourg-en-B., 1912, t. iii, p. 1011-1016 et, depuis, dans Zeitschrijt fur k. Théologie, 1920, t. xuv, p. 591-592, ou J. Paquier,

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

Revue de philosophie, 1923, p. 197-198. Le critique novateur y est justement suspect de donner, sous la pression de ses préjugés confessionnels, pour jfavorables au luthéranisme des propositions parfaitement catholiques, comme le lui a déjà reproché le protestant O. Scheel, Theol. Literaturzeitung, 1913, t. xxxviii, p. 752.

Des catholiques cependant ont fait observer à leur tour que l’extension de cette théologie augustinienne au xvie siècle, et cela chez des adversaires de la Réforme qui ne sauraient, par conséquent, lui emprunter leurs inspirations, ne s’explique raisonnablement que si elle répondait à un courant antérieur que le grand nom de saint Augustin aurait accrédité et que son ordre aurait eu souci de maintenir. On comprendrait même aisément que ces doctrines aient particulièrement trouvé bon accueil dans cette Italie du xve siècle, où le divorce était si grand entre la foi et les mœurs, où, par conséquent, la disproportion devait être sentie plus qu’ailleurs entre l’œuvre de l’homme et celle de Dieu. J. Paquier, Recherches de se. rel., 1923, p. 295-301.

2. Principaux témoins.

A défaut de preuves positives, on a du moins quelques indices propres à appuyer cette induction.

Comme autorités, Séripando invoquait, non seulement les théologiens de Cologne que nous rencontrerons plus tard, col. 2159 sq, ou les noms vénéiésde saint Bernard et de saint Augustin, mais un de ses maîtres immédiats et qui avait avant lui gouverné l’ordre de Saint-Augustin, le cardinal Gilles de Viterbe (1465 ?1532). Le commentaire qui nous est resté de celui-ci sur le premier livre des Sentences, sans justifier cette opinion, permet de comprendre qu’elle se soit formée. Voir Paquier, loc. cit., p. 431-436. Il révèle une théologie platonicienne, très opposée en conséquence à l’aristotélisme reçu. Toute la grâce s’y ramène à une extension de l’amour de Dieu en nous, qui provoque de notre part une union d’amour envers Dieu. Et ceci suggère une justice intérieure ; mais cette psychologie du surnaturel, où tout se réduit à des actes, ne pouvait-elle facilement donner lieu à des méprises ? Par ailleurs le dédain qu’il devait à Platon pour la matière et le corps était une amorce au pessimisme. On s’explique par là que Séripando ait cru lire dans son maître ses propres doctrines. Mais, « en somme, conclut J. Paquier, p. 435, en faveur de l’enseignement d’une double justice par Gilles de Viterbe, les présomptions restent très peu précises et très peu fondées. »

De cette école Alph. Vict. Muller a cru trouver un plus ancien témoin dans la personne d’un autre théologien, lui aussi général des augustins au début du xve siècle, Augustin Favaroni (1365 ?-1443). Voir son article Agostino Favaronie la teologia di Lutero, dans Bilychnis, n. de juin 1914, p. 373-387. Mais un doute plane a priori sur le bien-fondé de cette découverte, en raison des tendances bien connues de son auteur à l’exagération. En tout cas, si l’on en juge par les extraits de son commentaire inédit sur l’Épître aux Romains largement publiés dans Denifle, Die abendlândischen Schriftausleger, p. 223-235, Favaroni oppose seulement la justice par la foi à la justice légale et la gratuité de la grâce aux mérites purement naturels de l’homme. Il y est d’ailleurs question de la o justice de Dieu » qua justificatur impius et fit juslus, p. 230, ou, plus nettement encore, p. 227, qua nos formaliter interne justificat. Cependant il reste vrai pour lui que nous ne pouvons pas atteindre la « justice parfaite » et que « c’est Dieu qui est notre justice formelle. » J. Paquier, d’après A. V. Muller, Revue de philosophie, 1923, p. 204. Toutes formules empreintes d’un pessimisme mystique et d’un nominalisme doc VIII. — 68