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    1. KANT ET KANTISME##


KANT ET KANTISME, THÉORIE DE LA RELIGION

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vouloir, Kant prétend montrer que l’homme a pour elles un penchant général. Ce penchant ne l’ait point partie du concept même de l’humanité, car alors il serait inéluctable ; il n’est pas davantage un accident fortuit dans certains individus ; il aflecte l’homme en tant que race et on le retrouve « radicalement » dans shacun. En preuve de cette assertion, Kant n’apporte que des constatations assez précaires, des histoires de sauvagerie, des inductions rapides, tout en déclarant qu’une vérité évidente, n’a pas besoin de preuve formelle. C, t. vi, p. 172 ; B., t. vi, p. 33 ; R., t. x, p. 36. Contre J.-J. Rousseau, il ne veut pas que l’origine du mal moral soit rapportée aux institutions collectives ; l’individu a une tendance à troubler la pureté du vouloir honnête, par l’admixtion de motifs intéressés ou le renversement des motifs obligatoires. Il sait fort bien ce qu’il doit faire : il peut le taire ; il ne le veut pas, at quand il le veut, c’est au prix d’une conquête sur la rébellion de son propre vouloir et sans jamais pouvoir s : as.s.urer une persévérance absolue.

Il serait vain, continue Kant, de chercher l’origine de cette propension au mal en autre chose qu’en elle-même. Le mal moral, c’est-à-dire l’adoption d’une maxime eudémonique, ne peut dériver de rien, pas plus que la liberté dont il n’est qu’un exercice. C’est dans la volonté et par la volonté qu’on expliqua son acte. Dès lors force nous est d’admettre dans notre liberté même une disposition, non contraignante, mais très réelle pourtant, à mal faire. Elle est telle parce que nous la voulons, tout simplement. C’est un fait dont les raisons dernières sont <> inscrutables » unerforschlich. C, t. vi, p. 183 ; B., t. vi, p. 43 ; R., t. x, p. 49. Toute cette philosophie morale assez élémentaire est bien dans le goût du piétisme ou de la prédication puritaine, Kant va maintenant la traduire en termes chrétiens. La propension au mal, c’est le péché de la race. Il est sans doute absurde de parler ici d’hérédité, car il n’y a pas de « propagation > du mauvais vouloir et le mal n’est moral que dans la mesure où il est libre, donc indépendant de l’hérédité naturelle. C, t. vi, p. 179 ; B., t. vi, p. 39 ; R, t. x, p. 44.

Les décisions sont toujours originales et personnelles. Aucun homme, pas même le premier, n’a pu vouloir à ma place. D’ailleurs placer l’origine de la mauvaise tendance au début de l’humanité et dater cette chute originelle, c’est simplement absurde. La chute est l’affaire de chaque individu, et elle n’est pas chronologiquement antérieure à mes décisions libres. Elle n’a qu’une priorité de raison par rapport à mes fautes ; dans ce sens que ces fautes doivent être comprises comme dérivant d’une tendance libre et universelle du vouloir vers le mal.

Toute l’histoire de la chute originelle et des premiers parents et de la transmission de la faute, n’est qu’un mythe et il faut la traduire en termes de philosophie morale.

Par contre-coup, Kant va supprimer tout ce qu’il y y a d’historique et de réel dans la justification rédemptrice L’Évangile et la théologie ne donnent qu’une narration populaire. C., t. vi, p. 226 ; 1 !., t. VI, p. 83 ; R., t. x, p. 97, qu’il faut dépouiller de son enveloppe mystique. Dégagée ainsi de tout élément temporel et -, pali al, . cette narration prend une valeur universelle et obligatoire pour tout le monde, car elle n’exprime plus que le vouloir moral et ses conditions. « Sa seule ticatlon est la suivante : il n’existe pour l’homme aucune espèce de salut en dehors de l’acceptation volontaire par l’homme des principes vraiment moraux. Contre cette acceptation, une certaine perversité foncière travaille dans chacun de nous, une perversité qui est bien nôtre, et qui ne peut Être surmontée que par l’idée de l’homme honnête, considéré dan* toute sa pureté, et avec la conviction quc cette idée est réalisable par nous, qu’il Jwnt donc la garder nette de tout mélange suspect, l’accueillir jusque dans l’intime de notre âme et nous persuader petit à petit par l’action qu’elle exerce sur nous que les puissances terribles du mal ne peuvent rien contre elle. Les portes de l’enfer ne prévaudront pas. »

C’est là toute la justification par le Christ, car le « sage, pédagogue » de l’Évangile nous a enseigné cette doctrine et nous en a lui-même fourni un exemple émouvant. C, t. vi, p. 226 ; B., t. vi, p. 83 ; R., t. x, p. 97. Ailleurs cette « idée du bien » qu’il faut garder pure de tout mélange ne sera plus rapportée par Kant à Jésus, mais identifiée avec le Consolateur, le Paraclet. C, t. vi, p. 213 ; B., t. vi, p. 71 : R, t. x, p. 82. Et vraiment, dans cet arbitraire, une interprétation est aussi justifiée que l’autre.

e) Nous pouvons être plus brefs en décrivant les autres transformations que Kant fait subir aux dogmes chrétiens. Le procédé est toujours le même et les détails d’exécution n’importent guère dans cette architecture de nuages.

La résurrection et l’ascension deviennent des idées de la raison, Vernunjtideen : commencement d’une vie nouvelle : entrée dans la société des bons. C’est tout ce que la Religion peut garder de. ces deux histoires. Prises objectivement et comme des événements réels, ces deux narrations sont intenables, car elles présup^ posent l’idée d’une « matière pensante » et d’un corps spiritualisé. Kant nous le dit et il ajoute que ce sont là des concepts inintelligibles. C. t. vi, p. 275> note ; B., t. vi, p. 128, note ; R., t. x, p. 151, note.

Toute l’eschatologie va s’accommoder de la même exégèse, on en fera « un bel idéal » de cet âge du monde, entrevu par la croyance morale et daus lequel la loi régnerait, ohéie pas tous. Idéal qui n’a rien d’empirique et qui exclut tout élément mystique, worin nichts mi/stisches ist, sondern ailes au) moraliseke Weise nalùrlich zuijeht. Le royaume de Dieu — qui est à l’intérieur inwendig in eiuh, — n’a rien de messianique ; il est exclusivement moral. <… t. vi. p. 283 et note ; B., t. vi, p. 136 et note : R., t x. p. 163-164 et note. Avec la même indifférence à l’égard de la signilication historique des dogmes, et comme si toute la religion chrétienne était une pâte amorphe que la philosophie aurait le droit de pétrir à son gré, Kant « interprète < le dogme de la Trinité.

On ne peut pas envisager le législateur suprême comme un être indulgent et condescendant, ni comme un despote, ordonnant des choses arbitraires, sans rapport avec la valeur morale de ses sujets. Et c’est ainsi que se justifie l’expression de Père appliquée à Dieu. On ne peut pas davantage considérer la bonté divine comme une bienveillance inconditionnée à l’égard de ses créatures, mais plutôt comme un amour qui suppose en elles une honnêteté morale et qui ne vient à leur aide que pour achever leur effort. Et c’est ainsi qu’on peut appeler l’être moral le Fils de Dieu, et le considérer comme Sauveur. Enfin la justice : divine ne peut être conçue comme clémente ou accessible aux supplications (ce qui serait contradictoire’», ou encore bien moins comme s’exerçant à rendre saint le législateur suprême, mais seulement comme une restriction de la bienveillance divine, qui ne s’étend qu’aux hommes obéissant à la loi morale. Et c’est ainsi que Dieu peut être appelé Esprit sanctificateur et dispensateur de la justice.

Dès qu’on essaie d’attribuer à cette Trinité divine une autre valeur que celle d’une idée morale, dès qu’on la prend pour la représentation de ee que Dieu est en lui-même, elle dépasse toutes les conceptions de la raison et est censée relever d’une révélation spéciale. « Croire ainsi à la Trinité, en la considérant comme un accroissement de nos connaissances théoriques sur