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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 8.2.djvu/469

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KENOSE


d’une philosophie évolutionniste de la nature divine et d’une conception moderne de la personne.

1. I ! est facile de reconnaître ce qu’il y a de « mythologique i, de peu satisfaisant dans cette théorie qui implique au nom de la liberté et de la sainteté divine une mutilation de certaines des propriétés constitutives de la nature divine, une disparition de la conscience du Logos au sein de la Trinité.

Non seulement cette théorie méconnaît la notion traditionnelle, justifiée philosophiquement, de l’immutabilité de la vie divine, mais elle rejette la notion révélée de continuité personnelle du Logos en son état préexistant et dans l’incarnation.

2. L’unité de la vie personnelle du Christ est une donnée indiscutable de l’Évangile, dira-t-on, et l’on en conclut à l’unité de conscience en Jésus : il n’y aurait en lui qu’une conscience humaine.

La déduction ne s’impose que si l’on méconnaît la complexité mystérieuse de la personnalité unique du Christ et si l’on identifie la personne avec la conscience.

a) C’est un fait que l’Évangile nous révèle surtout en Jésus l’unité de sa vie personnelle ; mais il nous dit aussi la complexité de cette vie. Cette complexité n’a pas échappé à l’interprétation traditionnelle. Les Pères ont vu dans cette personnalité unique la manifestation de deux intelligences, de deux volontés libres, de deux activités conscientes ne se recouvrant pas, l’une finie, l’autre infinie, restant parfaitement distinctes, gardant le libre jeu de leurs opérations propres, mais unies substantiellement dans le même sujet qui subsiste en elles et agit par elles. De ces deux courants d’activité, d’intelligence, de volonté conscientes coexistant dans la même personnalité, l’un sans doute ne peut être atleint par nous directement. Le Verbe, en tant qu’il subsiste dans la nature divine, nous reste aussi mystérieux que le Père et le Saint-Esprit : mais ce n’est point là une raison pour nier cette activité divine.

Disons que le Verbe, dans sa vie mortelle, se révèle à nous dans une conscience humaine ; mais ajoutons que par ses œuvres, par sa révélation arrivent jusqu’à nous, adaptés à notre mesure, tout ce que son humanité peut porter et refléter de son activité divine, tout ce que le Verbe veut enseigner et faire en vue de notre salut par l’instrument humain qu’il s’est uni hypostatiquement.

De cette fa.on, rien n’est sacrifié de l’Évangile ni de la tradition qui affirment en Jésus non seulement la pratique d’une vie humaine réelle, mais en même temps l’existence en sa personnalité mystérieuse d’une conscience divine, accessible dans ses profondeurs au Père seul et pour laquelle le Père n’a point de mystère.

On comprend comment on peut parler avec saint Paul et les Pères de dépouillement, de limitation môme, dans l’incarnation. En se faisant homme, le Verbe n’abandonne rien ; il conserve sa conscience divine ; il ne se limite point dans son être..Mais par le fait que volontairement il a décidé de s’unir à une nal ure humaine pour accomplir par cette nature et dans cette, nature l’ensemble des œuvres nécessaires au salut de l’humanité, il a accepté de limiter l’usage et l’exercice de la puissance divine d’abord à la mesure de réceptivité de l’instrument qu’il s’unissait. et dont il voulait normalement se servir, mais aussi à la mesure de manifestation divine que comportait la vie d’obéissance, d’obscurité, d’infirmité qu’il avait volontairement choisie, il est certain que l’humanité du Christ est soumise à des limitations. Il y a d’abord « les limitations métaphysiques. L’humanité du Christ est créée et parlant finie : infinie en dignité Comme unie h vpol ut iipicment à une personne divine, mais finie dans son essence et douée d’une perfection qui

n’épuise pas toute la puissance de Dieu.. Il y a aussi les limitations d’ordre économique concernant le rôle et l’office de Rédempteur. Le Christ devait souffrir et mourir avant d’entrer dans la gloire et conquérir par son mérite une exaltation qui lui appartenait par droit de naissance. Il peut y avoir encore les limitations volontaires. N’oublions pas que l’union hypostalique n’influe pas directement sur la nature humaine du Christ. Elle pourrait n’apporter aucun changement physique au corps, à l’âme, aux facultés intellectuelles de l’humanité sainte. Le Christ a spontanément renoncé par son existence terrestre aux honneurs divins qui lui étaient dus. N’a-t-il pas porté le renoncement au delà des bornes que lui imposait strictement, dans les plans actuels de Dieu, sa fonction de Sauveur V » Prat, La théologie de suint Paul, 7e édit., t. i, p. 335. C’est en acceptant ainsi la pratique d’une vie humaine réelle, que Jésus, selon l’expression de saint Paul, s’est dépouillé et a été reconnu pour homme par ce qui a para de lui, y.a.1 oyr l y.y.— : i eûpsGelç

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b) De la coexistence d’un double courant de conscience en Jésus, il ne résulte pas une dualité de personnes. La conscience de soi ne s’identifie pas nécessairement avec la personnalité : < : la conscience de soi est un effet et un indice de la personnalité : elle n’est pas la personnalité. Hypostasiî, t. vii, col. 434. Celleci implique tout d’abord un élément métaphysique : l’indépendance ontologique de l’être rationnel formant un tout existant en soi et par soi. Nous savons par la foi que la nature humaine du Christ n’existe pas en soi et par soi, elle est en continuité ontologique avec Dieu ; elle a en lui sa subsistence. Sans doute, psychologiquement, Jésus s’affirmait comme homme, puisqu’il était doué de volonté et de liberté humaines ; mais tout en se sachant homme, il avait conscience qu’il ne s’appartenait pas. L’humanité prenait conscience d’elle-même en Jésus, sans s’affirmer comme une personnalité, sans s’attribuer comme à un centre d’imputabilité morale ce qui se passait en elle. Par elle le Verbe possédait une activité libre humaine, par elle, il produisait des actions qui n’étaient imputables qu’à lui. De là le double témoignage de Jésus sur son humanité libre et consciente et sur ce fonds mystérieux de son être par lequel il s’isole des hommes, s’égale à Dieu son Père, et possède une personnalité divine.

De là aussi l’impression faite par la lecture des Évangiles touchant le Christ : « Une personne qui, en dépit de son évidente humanité, no : is impressionne d’un bout à l’autre, comme étant chez elle dans deux mondes. » J. R. Illingworth, Divine immanence, cité dans l’art. Jésus-Christ, Dict. apalog., t. ii, col. 1399. L’affirmation traditionnelle qui, distinguant en Jésus entre la nature humaine concrète et la personne, affirme deux natures unies en un seul sujet, le Verbe, rend seule compte du caractère complexe de la personnalité unique du Sauvein de oe qu’elle a de solitaire i’l de nouveau entre toutes les consciences.

On dira qu’une telle conscience dans un être d’ailleurs indépendant et libre est ni : l’ail qui nous dépasse. L’Église catholique eu a toujours reconnu le caractère mystérieux. L’auteur de l’article KénouÛB la Ilealencyclopa fie confesse lui aussi ce mystère : « Toutes les théories que nous faisons, nous pauvres hommes, sur l’incarnation divine, sont déficientes ; mais de toutes la plus déficiente est la moderne t licorie de la kénose. » F.nr. cil., p. 2(58. Retenons cet aveu loyal du mystère, et celle déclaration sévère mais justifiée que la théorie de la kénose est insuffisante, pour en pénétrer dans la mesure du possible le secret.

Non seulement cette théorie est déficiente ; elk Implique contradiction, du moins dans.ses formes