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JOSUE. LES DOCTRINES RELIGIEUSES

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contact de plus en plus fréquent et immédiat avec les Cananéens. Ceux-ci, malgré les revers subis au début de la campagne, sont demeurés nombreux et puissants, particulièrement dans la plaine, à l’abri des murs de leurs villes fortifiées ; ne reste-t-il pas encore un grand pays à conquérir, selon la parole de Jahvé à Josué devenu vieux ? Jos., xiii, 1. Des relations s’établissent nécessairement entre envahisseurs et habitants du pays, et à l’hostilité première succèdent d’autres sentiments qui vont favoriser et multiplier les contacts entre Israélites et Cananéens. L’attrait d’une civilisation supérieure, la nécessité d’apprendre d’un peuple d’agriculteurs le secret de la fécondité du sol, l’attirance aussi de cultes moins austères que celui de Jahvé agissaient puissamment sur les nouveaux venus pour les assimiler insensiblement au peuple vaincu aussi bien dans leur vie sociale que dans leur vie religieuse même, du moins extérieurement. Ce ne sera que plus tard sans doute qu’apparaîtront nettement les funestes conséquences de l’influence cananéenne, dont l’histoire de la période des Juges révèle toute l’étendue. Voir plus loin l’art. Juges. Mais c’est dès les premiers temps de l’établissement d’Israël en Canaan qu’elles sont rendues possibles et se préparent.

De cette transformation religieuse le souvenir s’est gardé dans la tradition prophétique : si le rédacteur du livre de Josué peut dire qu’Israël servit Jahvé pendant toute la vie de Josué et pendant toute la période des anciens qui lui survécurent et qui connaissaient tout ce que Jahvé avait fait en faveur d’Israël, Jos., xxiv, 31 ; cf. Jud., ii, Osée et Jérémie évoquent le souvenir du séjour au désert comme celui d’une époque où la fidélité d’Israël à son Dieu fut exceptionnelle, et telle qu’elle ne se retrouva plus dans la suite. Os., ii, 14-17 ; Jer., ii, 2. C’est aux conditions du premier établissement des Hébreux en Canaan que remonte la distinction en Israël d’un Jahvéisme populaire, alliant au culte du vrai Dieu les pratiques idolâtriques des cultes cananéens, et d’un Jahvéisme légal, conforme aux prescriptions sinaïtiques ; c’est à ramener le premier à la pureté du second que tendra toute l’activité du prophélisme en Israël.

Malgré l’importance de la période de la conquête au point de vue religieux, le livre qui nous la raconte n’est pas pour autant très riche en enseignements religieux. Josué est un conquérant et non un prophète, aussi est-ce à l’aide d’allusions surtout, nombreuses il est vrai à cause du caractère religieux du récit, que nous pourrons essayer d’en dégager le contenu doctrinal sur Dieu en particulier et sur son culte.

Dieu.

Les traits qui caractérisent la divinité dans le livre de Josué se retrouvent dans l’ensemble les mêmes que ceux du Deutéronome (cf. la place importante faite par les critiques dans la rédaction du livre à l’élément deutéronomiste). C’est le Dieu tout-puissant, seigneur de toute la terre, Jos., i, 5 ; m, 13, dont les païens eux-mêmes reconnaissent et proclament la divinité : « c’est Jahvé, dit aux espions la courtisane de Jéricho, qui est Dieu en haut dans le ciel et en bas sur la terre. » ii, 11. Les Gabaonites viennent faire leur soumission à un peuple qu’ils savent sous la sauvegarde bienveillante et puissante de Jahvé. ix, 9-10. C’est aussi le Dieu d’Israël ; les mots « Jahvé, votre Dieu » se retrouvent avec une fréquence qui rappelle celle du Deutéronome, i, 9, 11, 13, 15 ; iii, 3, 9… Sans cesse aux côtés de son peuple, i, 9, Il lui a livré le pays tout entier, i, 11 ; ii, 24 ; Jéricho, Lebna, Lachis tombent aux mains des envahisseurs parce que Jahvé, leur Dieu, les leur a livrées, vi, 2 ; x, 29, 32. Par contre, les habitants du pays, quelle que soit leur attitude, ne sauraient prétendre aux privilèges du peuple choisi ; même soumis, de gré ou de force, ils remplissent des fonctions d’esclaves, ix, 27 ; xvi, 10. Jahvé, au reste, ne tolère aucun contact des siens avec ce qui lui est étranger, c’est pourquoi il endurcit le cœur de ces peuples de Canaan pour qu’ils fassent la guerre à Israël, en sorte que celui-ci devra les dévouer par anathème, sans qu’il y ait pour eux de miséricorde, xi, 20 ; cf. Num., xxxiii, 51-55. Ainsi s’explique l’ordre d’extermination des Cananéens dont l’influence ne pouvait qu’être néfaste à Israël, l’histoire des Juges et des Rois en est la preuve. Cf. Deut., vii, 4 ; xii, 2, 3…

Comment ce Dieu jaloux manifeste-t-il ses volontés à son peuple ? par sa parole simplement : « Jahvé dit à Josué. o Sa transcendance s’accommoderait mal de toute représentation qui pourrait suggérer à ses fidèles une conception erronée de sa nature et risquerait de le faire descendre au rang de quelque divinité cananéenne. Un symbole de sa présence existe pourtant, c’est l’arche dont la puissance se manifeste tout particulièrement au passage du Jourdain et au siège de Jéricho ; c’est autour d’elle que devait se concentrer le culte pour se garder des pratiques idolâtriques des hauts-lieux. Mais ce résultat n’est pas toujours obtenu, malgré les souvenirs glorieux qui auraient dû maintenir le prestige de l’arche, et déjà, dans la période qui suit, elle passe-au second plan. (Sur l’unité de l’arche cf. Lagrange, dans Revue biblique, 1917, p. 578-584, à propos de la pluralité soutenue par W. R. Arnold, Ephod and Ark, Cambridge, 1917.)

D’un tout autre caractère apparaît une manifestation divine, rapportée dans Jos., v, 13-15 (13-16 + dans la Vulgate). Ce n’est plus par sa seule parole, ni par le symbole de sa présence dans l’arche que Jahvé se révèle aux hommes, c’est par l’apparition du chef de son armée à Josué avant la prise de Jéricho. Quel est le sens de cette apparition ? Le texte lui-même (les versets 13 et 14 du Jéhoviste ou de l’Élohiste d’après les critiques, 15 additionnel) ne semble pas fournir tous les éléments d’une réponse satisfaisante. Et d’abord, que signifie la question posée par Josué au personnage qui lui apparaît, une épée nue à la main : « Es-tu des nôtres ou de nos ennemis ? » n’y aurait-il pas eu lutte auparavant ? Jos., xxiv, 11 ; vi, 1 ; ensuite le texte de la réponse est incomplet, car les seules paroles du ꝟ. 15 a (hébreu et lxx) (retouche faite d’après Ex., iii, 5, Holzinger) ne sauraient constituer le message du chef de l’armée de Jahvé à Josué, à moins que l’on n’admette que l’apparition n’avait d’autre objet que de signifier et d’inaugurer la sainteté du haut-lieu de Galgala (Wellhausen, Stade). Selon toute vraisemblance, le discours tenu alors serait analogue avec celui que tient l’ange de Jahvé dans Jud., ii, 1. Mais encore quel est ce personnage mystérieux, ainsi désigné sous le titre de chef de l’armée de Jahvé ? Son identification avec l’ange de Jahvé dont il est souvent question dans la Bible, pourrait bien nous donner la véritable réponse. Malgré la différence des noms, ange de Jahvé et chef de l’armée de Jahvé apparaissent identiques. C’est au nom du Dieu d’Israël qu’ils parlent, des circonstances analogues entourent leur apparition, Ex., iii, 1 sq. (hébreu) : Jud., ii, 1 ; l’objet de leur mission, ordre ou avertissement solennels à transmettre, est d’égale importance. Ne peut-on voir enfin dans ce chef de l’armée de Jahvé se présentant à Josué avant la conquête, l’ange promis à différentes reprises par Dieu pour conduire son peuple au pays des Amorrhéens et des Cananéens ? Ex., xxiii, 23 ; xxxiii, 2. L’identification d’ailleurs est admise aussi bien par le P. de Hummelauer, op. cit., p. 168-171, que par Steuernagel dans son Commentaire, Josua, p. 160 (Handkomm-ntar zum A. T.).

Reste à déterminer ce qu’est l’ange de Jahvé, « une