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LAXISME. LA QUERELLE DU LAXISME EN FRANCE


ces conjonctures. La censure faite par celle-ci, le 24 mai 1664, du livre composé parle carme Jacques de Vernant sous le titre : Défense de l’autorité de N. S. P. le pape, avait été ressentie très vivement à Rome. Maintenant que la paix était rétablie avec le roi (au prix de quelles humiliations !) on n’était pas fâché de faire sentir à la Faculté de Paris des rancunes, fort légitimes d’ailleurs et depuis longtemps accumulées. La censure de Guiménée est du 3 février 1665 ; le 6 avril un bref d’Alexandre VII, adressé directement au roi, disait à celui-ci la douleur dont le pape avait été frappé par les censures des théologiens de Sorbonne et demandait au souverain d’employer son autorité royale pour les faire entièrement révoquer. Duplessis d’Argentré, ibid., p. 115. Mais le Parlement de Paris protesta très vivement dans un Avis de MM. les gens du Roi du Parlement de Paris sur le bref de N. S. P. le pape contre les censures de Sor bonne. Les « gens du roi » s’étonnaient que le zèle de la Faculté à rétablir la pureté de la morale ait pu lui attirer des plaintes et des reproches ; et ils faisaient remarquer, non sans quelque ironie, que, par son acte, le pape n’entendait pas sans doute autoriser le libertinage des mœurs. Allant droit au grief pontifical qui n’était point exprimé dans le texte du bref, ils ajoutaient :

Qui ne s’étonnera donc que le pape ne se plaint de ces censures, que parce qu’elles donnent des bornes à son autorité, qu’elles lui arrachent cette infaillibilité que ces nouveaux auteurs lui ont si libéralement donnée ? » Suivait une discussion en forme de la thèse de l’infaillibilité personnelle, avec une série d’exemples empruntés à l’histoire de la papauté, et qui tendaient à énerver cette doctrine ; le tout se terminait par l’avis des gens du roi : « Notre avis est que le roi ne peut, sans blesser les droits de la couronne et faire brèche à son autorité, accorder au pape la satisfaction qu’il demande : bien loin que l’on doive condamner les sentiments de la Faculté de théologie, celle-ci doit être être puissamment excitée d’y persévérer. » Ibid., p. 115-124.

3. Conflit entre Rome et Paris.

Ce n’était pas le

moyen d’arriver à un accord. Le 25 juin Alexandre VII répliquait par la bulle Cum ad aures nostras. Il signalait les censures dont on avait à Paris marqué les deux livres de Jacques de Vernant et de Guimenius. « Ces présomptueuses censures y signalent certaines propositions, celles-là surtout qui touchent à l’autorité du pontife romain et du Saint-Siège, à la juridiction des évêques, au rôle des curés, aux privilèges concédés par le Saint-Siège, aux dispenses apostoliques, à la règle des actions morales et d’autres qui s’appuient sur l’autorité des écrivains les plus graves et l’usage perpétuel des catholiques. » Le pape dès lors condamnait lesdites censures comme « présomptueuses, téméraires et scandaleuses, les déclarait nulles et de nulle valeur ; interdisait à aucune personne de les approuver, suivre ou défendre, sous peine d’excommunication ipso facto. Enfin il déclarait se réserver le jugement sur lesdites censures, et sur les opinions contenues dans les livres de Jacques de Vernant et deGuiræniui et des autres auteurs visés. » Bullarium romanum, Rome, 1762, t. vi, 6e part., p. 73-74,

L’acte pontifical était d’une souveraine dignité ; peut-être aurait-il pu être plus habile. Un moi très net de blâme à l’endroit de certaines propositions des casuistes aurait empêché toute tentative de solidariser le Saint-Siège et la nouvelle morale Alexandre vil, blessé dépoli plusieurs années par les procédés delà France, ne sut pas ou ne voulut pas le dire immédia tement. Sans aucune distinction, il réservait a son propre jugement toutes les propositions iucrimi

indirectement visé) le Parlement de Paris ripostail avec une violence inouïe. Le 29 juillet l’avocat général

Denis Talon prononçait contre la bulle pontificale un réquisitoire véhément, où il déclarait l’acte du Saint-Siège injuste et insoutenable : « Le pape, disait-il, dépouille la Faculté d’un droit qui lui est acquis et dont elle jouit depuis plus de cinq cents ans. Or il est aisé de justifier par plusieurs exemples que les Facultés de théologie ont toujours censuré les livres ou contre la foi ou contre les mœurs. » Et il concluait non seulement à empêcher la publication de la bulle (formalité nécessaire pour qu’elle eût en France effet légal), et à conserver toute leur force aux censures de Sorbonne, mais aussi à « faire défenses à toutes personnes de soutenir ou enseigner les propositions censurées… à peine d’être procédé extraordinairement contre elles, comme perturbateurs du repos public. » On imposerait le respect des censures aux professeurs qui viendraient à être nommés aux chaires de théologie de Sorbonne, de Navarre ou de quelque autre université du ressort et « les supérieurs des monastères, y compris le Collège de Clermont, seraient mandés en la Censure pour leur être enjoint d’empêcher que ceux qui régenteront en leurs monastères n’enseignent aucune des propositions censurées. » Ainsi en ordonna, séance tenante, le Parlement ; en même temps il décidait que deux conseillers se transporteraient « dans l’assemblée de ladite Faculté de théologie et exhorteraient ladite Faculté de continuer ses censures, lorsque les occasions se présenteraient, avec le même zèle qu’elle a fait par le passé… et le présent arrêt serait registre es registres de ladite Faculté. » Ainsi fut fait. Les pièces dans Duplessis d’Argentré, t. ma, p. 125-133.

Il fallut plus d’un an pour apaiser ce conflit nouveau entre Paris et Rome. On en trouvera un exposé dans R. Chantelauze, Le cardinal de Retz et ses missions diplomatiques à Rome, Paris, 1873, p. 175-391. Sans doute les représentants du roi, dont le principal était le cardinal de Retz, ne purent obtenir qu’Alexandre V 1 1 révoquât sa bulle, comme ils l’avaient primitivement demandé. Du moins purent-ils faire passer la condam nation par le Saint-Office des propositions de la morale relâchée publiée les 24 septembre 1665 et 18 marsl 666 comme une satisfaction donnée au Parlement et à la Sorbonne, bien que, sur les instances de Pallavicini, l’Inquisition eût refusé de citer le nom de Guimenius. Le 10 avril 1666 enfin l’Index condamnait nommément le livre de ce dernier. Pendant ce temps l’Assemblée du clergé de France semblait vouloir entrer pleinement dans les vues du Parlement de Paris. Fort heureusement tout se termina par le silence et Bossuet pourra écrire dans sa Defensio declarationis clcri gallicam’. part. 11, t. VI, c. xxvii : « Les censures subsistèrent, la bulle fut comptée au nombre de ces actes inconnus et à ce titre dépourvus d’autorité. » C’est d’une singulière désinvolture !

4° L’Assemblée du clergé de 1700. — 1. Circonstances de la condamnation du laxisme. — De mauvais jours d’ailleurs avaient commencé pour la « morale des nouveaux casuistes ». Le pontificat d’Innocent XI lui avait été funeste ; la condamnation portée par le Saint-Ollice, le 2 mai 1679, atteignait la plus grande partie des solutions relevées depuis 1640 par les théologiens gallicans et ceux de Louvain dans les œuvres des nouveaux casuistes. Sans doute Alexandre VIII, par le décret du 7 décembre 1690, avait rejeté quelques exagérations des tutiorlstes, et mis en sûreté les principes menus de la théorie de la probabilité, reliâmes pratiques aussi, que depuis longtemps Sni adoptées nombre de confesseurs. Mais il est incontestable que dans les dernières années du xviie siècle, nul ne se risquai ! plus guère à énoncer

quelqu’une des fâcheuses propositions antérieurement

incriminées. L’affaire du 1’. Muflier a Rouen, ne fut qu’une alerte passagère. Voir t. il, col. 1158, et les