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859 LOCKE. SYSTÈME DE PHILOS RELIGIEUSE : DOMAINE Dl SURNATUREL

la force avec laquelle il triomphe de ses contrefaçons. Les cas où il est besoin de miracles pour confirmer la révélation sont du reste très rares. Voir Discourse oj Miracles, Œuvres, t. iii, p. 432 sq. Cette vérification ne peut jamais atteindre la certitude que produisent en nous les perceptions de l’intelligence et des sens. En outre, la révélation ne peut se faire que par le moyen de nos connaissances antérieures. Voir Essai, t. IV, c. xviii, § 3. Elle ne peut nous enrichir d’idées nouvelles ; elle doit se conformer à celles qu’elle rencontre et par conséquent en subir les limites. Enfin ces idées se revêtent de mots et ceux-ci obscurcissent bien souvent les vérités les plus importantes ; c’est pourquoi la théologie a multiplié les commentaires et les controverses sur la parole divine, qui n’ont servi qu’à en rendre le sens plus douteux. Essai, t. III, c. x, § 12. A la raison revient la tâche de préciser les mots en vue d’en faire disparaître toute ambiguïté.

C’est ainsi que la raison devient la norme suprême même de notre connaissance surnaturelle. « Celui qui proscrit la -raison pour faire place à la révélation éteint ces deux flambeaux tout à la fois et fait la même chose que s’il voulait persuader à un homme de s’arracher les yeux pour mieux recevoir, par le moyen d’un télescope, la lumière éloignée d’une étoile qu’il ne peut voir par le secours des yeux. » Essai, t. IV, c. xix, § 4.

Locke applique ces principes à l’interprétation même de l’Écriture. Quoique tout son contenu soit infailliblement véritable, le lecteur peut se tromper dans la manière dont il l’explique. C’est seulement dans les matières où la raison n’est capable que de conjectures que la révélation règne en maîtresse.

En conséquence, la révélation n’empêche pas que la religion naturelle ne soit le régime normal de l’humanité et nous devons exalter la bonté de Dieu de ce qu’il « a accordé au genre humain une assez grande mesure de raison pour que ceux qui n’ont jamais entendu parler de sa parole écrite ne puissent point douter de l’existence d’un Dieu ni de l’obéissance qui lui est due, s’ils appliquent leur esprit à cette recherche. » Essai, t. III, c. ix, § 23. La révélation, quand elle s’y ajoute, reste essentiellement soumise à la raison.

Il en résulte qu’étant donné que « les préceptes de la religion naturelle sont clairs et tout à fait proportionnés à l’intelligence du genre humain, qu’ils ont rarement été mis en question et que, d’ailleurs, les autres vérités révélées qui nous sont instillées par des livres et par le moyen des langues sont sujettes aux obscurités et aux difficultés qui sont ordinaires et comme naturellement attachées aux mots, ce serait… une chose bienséante aux hommes de s’appliquer avec plus de soin et d’exactitude à l’observation des lois naturelles et d’être moins impérieux et moins décisifs à imposer aux autres le sens qu’ils donnent aux vérités que la révélation nous propose. » Essai, t. III, c. ix, §23.

En réclamant ainsi, dans l’intérêt même de la révélation et de la paix religieuse, un contrôle de la révélation, Locke finit par plaider en faveur d’une religion naturelle. Néanmoins, il ne reconnaît à personne le droit de contester l’existence de ce qui échappe à notre connaissance rationnelle. « C’est avoir trop bonne opinion de nous-mêmes que de réduire toutes choses aux bornes étroites de notre capacité et de conclure que tout ce qui passe notre compréhension est impossible, comme si une chose ne pouvait être, dès là que nous ne saurions concevoir comment elle peut se faire. » En vertu de ce principe, il admet pour son propre compte les principaux dogmes chrétiens : Trinité, voir les discussions avec l’évêque de Worcester, Œuvres, 1. 1, p. 347 sq. ; Incarnation, voir Second rephj, Œuvres, t. i, p. 483 sq. ; existence des esprits, voir

Essai, t. IV, c. iii, § 27 ; c. xi, § 12, Traité de l’éducation ; chute des anges, voir.Essai, t. IV, c. xviii, § 7 ; immortalité de l’âme, voir An answer io Remurks upon an Essay concerning human Vnderstanding, Œuvres, 1. 1, ]). 131 ; Second rqjlꝟ. 1. 1, p. 565, 5(57, 571 : Vila œterna, dans Lord King, t. ii, p. 103 ; résurrection des morts, Essai, t. IV, c. xviii, § 7 ; Second reply, Œuvres, t. i, p. 483 sq. ; jugement, Second reply, ibid., p. 573 : vie d’outre-tombe, voir Happiness, dans Lord King, t. i, p. 216.

2° Théorie du « christianisme raisonnable. — Le désir de contribuer à l’unification des confessions chrétiennes, qui se divisaient surtout sur le problème de la justification, ainsi que la fragilité des systèmes à ce sujet, tel fut le double motif qui engagea Locke à écrire son traité : The rcasonableness of christianity as delivered in the Scriptures. Il a conscience de s’éloigner de la doctrine traditionnelle, mais aussi de puiser à l’unique source de la religion chrétienne, l’Écriture sainte.

1. Le problème de la justification. — La question fondamentale est de savoir ce qui est absolument nécessaire pour la justification.

Dieu a donné aux hommes dès le début une loi qui est la règle et la mesure de la justice. C’est la loi de Moïse pour les Juifs, ou la loi de la nature ou loi des œuvres ; en réalité elle n’est autre que la loi de la raison qui oblige tout homme à suivre « cette lumière naturelle qui est au dedans de lui », c. n. Dieu ne commande rien qui ne soit entièrement conforme à la raison.

L’observation fidèle de cette loi a pour récompense la vie éternelle ; la sanction pour ceux qui l’auront violée sera la perte de l’immortalité. Or Adam a transgressé la loi et après lui tous les hommes ; aucun ne peut donc avoir part à la vie éternelle.

Mais Dieu a établi un autre moyen de justifier les hommes en leur donnant la loi de la foi. Elle ne remplace pas l’autre, elle la laisse subsister tout entière et la prend même pour base. Toute la différence entre les deux lois se réduit à ceci que la loi des œuvres ne fait aucune grâce si l’on vient à violer ses préceptes, tandis que la foi est donnée pour suppléer au défaut d’une entière obéissance ; de sorte que ceux qui croient sont mis en possession de la vie et de l’immorlité comme s’ils étaient véritablement justes, c. m.

La loi de la foi renferme, d’un côté, à l’égard de chaque homme en particulier une obligation de croire ce que Dieu lui a imposé et, de l’autre, une confiance aux promesses de Dieu qui l’empêche de douter de leur accomplissement, ibid. Il importe donc de savoir ce que Dieu veut que nous croyions pour profiter des avantages que nous offre la loi de l’alliance évangélique.

La première condition qu’elle nous impose, en dehors de la croyance en un Dieu, c’est tout d’abord de croire que Jésus est le Messie. Les apôtres n’exigeaient pas autre chose des premiers fidèles, ni le Christ lui-même de ses disciples, c. iv-x. Mais il est tout aussi nécessaire de se repentir de ses péchés et de s’engager à mener une vie nouvelle, c. xi. Voilà tout ce qui est requis pour jouir des privilèges et des biens du royaume de Dieu, une fois qu’on y est comme naturalisé et incorporé solennellement par le baptême.

Quant à ceux qui n’ont jamais entendu parler du Messie, Dieu n’exigera pas d’eux ce qu’ils n’ont pas. Pour eux la loi de la raison est la seule règle pour établir leur justice. Dieu avait par la lumière de la raison révélé pour ainsi dire à tous les hommes qu’il est bon et miséricordieux. La même étincelle de connaissance qui est dans l’homme et qui le rend en quelque sorte participant de la nature divine, cette même étincelle qui, le faisant homme, lui faisait voir la loi à laquelle