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LUCIFÉRIENS. LES LUCIFÉRIENS AU DÉBUT DU XIII* SIÈCLE


particulier la création des êtres corporels par le diable et il ajoute : « Four bien montrer ce qu’ils sont, les fils des ténèbres, noclurno, ut jertur, tempore et hoc diebus statutis, conveniunt per provincias in synagogis suis, quatenus coiïgregali in unum, et mutuos sibi aspectus exhibentes, faciunt tandemopera patrissui. » Exposil. in Apocalypsim, édit. de Venise, 1527, p. 130 b.

Les orgies des sabbats tenus par les hérétiques sont devenues un lieu commun, à tel point qu’un docteur comme Alain de Lille propose du nom de cathare l’invraisemblable étymologie qu’on va lire. Après avoir rapporté la condamnation que font du mariage les néomanichéens, condamnation qui ne les empêche pas de se livrer aux pires excès de la chair, il ajoute : « On raconte que, dans leurs conciliabules, se passent les choses les plus dégoûtantes. Hi dicuntur cathari, a catha, quod est fluxus ; vel cathari, quasi casli, quia se castos et justos faciunt. Vel cathari dicuntur a cato quia, ut dicitur, osculant posteriora catti, in cujus specie, ut dicunl, apparet eis Lucifer. » Contra hæret., t. I, c. lxiii, P. L., t. ccx, col. 366. Cette sottise sera longtemps répétée. Cf. Dcellinger, Beitrâge, t. ii, p. 293.

Ces diableries sont signalées comme étant plus spécialement l’apanage d’une secte assez restreinte par un fragment publié par Gretzer à la suite de divers traités contre les vaudois. Le texte n’est pas daté, mais on ne se trompera guère en l’attribuant au début du xine siècle : L’auteur du fragment, après avoir caractérisé d’une manière assez précise les vaudois, ajoute : Quidam sunt hæretici alterius sectse pessimse qui ienent quosdam diabolicos articulos, quorum pauca subscribam. Primo adorant Luciferum et credunt eum esse Dei fratrem injuriose de cœlo detrusum et se cum ipso regnaturos ; pueros eorum eis immolant ; ipsum pro diviiiis rogant ; prius aquam baptismalem abluunt, chrisma salis fricatione abluunt ; ad loca sublerranea, quæ communiter der Busskeller, quo nescio inventore, dicuntur conveniunt ; promiscuas concupiscentias et abominabiles luxurias exercent, B. Virginem post Christi parfum dicunt non mansisse castam, sed plures filios habuisse ; corpus Christi et omnia alia sacramenta non credunt ; pollice oculos tempore elevationis obstruunt. Hsec et similia innumera, dimissis aliis, asserunt et confirmant. Dans J. Gretzer, Opéra omnia, Ratisbonne, 1738, t. xii b, p. 96.

Quelques écrivains pourtant sont un peu moins crédules et mettent quelques restrictions dans leurs dires. L’auteur anonyme d’un Traité sur l’hérésie des pauvres de Lyon a bien entendu raconter que l’on prête aussi à cette secte (en réalité ce sont des vaudois ) les dites abominations, mais il écrit sagement : Noctibus maxime hujusmodi convenlicula fréquentant quando alii dormiunt ut libenter ministeria iniquitatis operentur. Quod autem, ut dicitur, osculentur aliqui catos et ranas et videant diabolum, vel exstinctis lucernis pariter fornicentur, non puto islius esse seclæ, quia cathari dicuntur hoc facere, nec aliqua eorum veraciter intellexi quibus fidem adhiberem. Dans Martène et Durand, Thésaurus novus anecdoiorum, t. v, col. 1872.

En résumé, dans le cours du xii° et au début du xine siècle, l’opinion publique, sans faire de distinction entre les diverses sectes, attribue à tous les hérétiques occultes des pratiques de satanisme nettement caractérisées. Quand Mathieu Paris veut dire que Milan est un repaire d’hérétiques, il écrit : Erat enim civitas illa omnium hæreticorum, Paterinorum, Luciferanorum, Publicanorum, Albigensium, usurariorum perfugium. Chronique ad an. 1236, dans Monum. Germ. hisl., Script., t. xxviii, p. 134. Ceux néanmoins qui se donnent la peine d’y regarder d’un peu près, font la différence entre les vaudois d’une part et les néomanichéens de l’autre. Ils reproduisent assez exactement les doctrines de ces derniers sur le dualisme fon damental qui est au point de départ de l’hérésie. Ils en concluent, un peu vite peut-être, que tous les néo-manichéens professent sur le compte de Lucifer les opinions très précises, que nous avons vu attribuer aux bogomiles ; enfin ils se font l’écho, sans toujours y croire, des pratiques de diablerie qu’ils jugent être la conséquence toute naturelle des doctrines qui seraient, pensent-ils, celles de tous les cathares.

Ce n’est pas impunément, d’ailleurs, qu’on laisse les imaginations populaires se donner libre carrière sur de tels sujets. La chronique d’Albéric de Trois-Fontaines signale une véritable épidémie de satanisme qui apparaît en Allemagne en 1160. L’auteur est très mal renseigné et le vague de son langage dissimule à peine l’incohérence de son information. Il parle de troupes d’hommes (inspirés par les démons ?), formant une véritable armée et se déplaçant dans le pays. Un prince instruit par un évêque, sut découvrir leur véritable nature, lors d’un festin auquel il avait été invité : cum fecisset signaculum crucis inventa sunt omnia fercula fuisse stercora diversa hominum, porcorum. asinorum et aliarum immundiliarum et preliosa vina versa sunt in fetentes urinas. Le prince avec les siens finit par avoir raison de cette troupe diabolique ; mais ce sont les restes de ces bandes qui ont été la source de la nouvelle hérésie qui, de nos jours, a envahi l’Allemagne. Omisi autem dicere, ajoute le chroniqueur. quod faciebant quasi miracula, et videbantur quidam ex eis ambulare super aquam quasi super aridam, et multa alia… Qui autem semel deceptus gustasset de illorum convivio vix postea vel nunquam reverli poleral ad mentis integritatem et fidem. Dans Monum. Germ. hist., Script., t. xxiii, p. 845. Il est bien difficile de direce qu’il y a de vérité cachée sous cette incohérente narration. Retenons au moins le renseignement qu’elle nous donne sur l’état d’esprit des contemporains, prompts à découvrir partout des diableries et des prodiges.

IV. Les lucifériens allemands au début du xiiie siècle. — Nous venons d’entendre Albéric de Trois-Fontaines faire allusion à la nouvelle hérésie quæ nostris diebus graviter Alamanniam infecit. Le même chroniqueur signale en effet, à l’année 1233, une terrible inquisition menée dans la région rhénane par le fameux Conrad de Marbourg et qui fit découvrir et châtier un grand nombre d’hérétiques qualifiés de lucifériens. Comme le pape Grégoire IX a été mêlé d’assez près à toute cette affaire, il n’est pas inutile de l’étudier avec quelques détails.

Les premières indications relatives à des doctrines lucifériennes dans le nord-ouest de l’Allemagne sont fournies par l’affaire du moine prémontré Henri Minneke. Prévôt d’un couvent de femmes à Goslar (Hanovre), ce religieux fut accusé devant l’évêque d’Hildesheim d’hérésie manichéenne. Extrêmement habile, le prévenu n’était pas facile à prendre en défaut ; c’est seulement après l’intervention du légat pontifical qu’il put être convaincu et condamné dans un concile d’Hildesheim en 1224. De son procès il avait résulté qu’il tenait des opinions se rattachant au néomanichéisme : In scriptis suis, invenimus eum aperte mairimonium reprobare et quod diabolus vellet redire ad gratiam. Dans Harzheim, Concilia Germanise, Cologne, 1760, t. iii, p. 515-516 ; voir aussi Potthast, Regesta pontif. rom., n. 7260, et les chroniqueurs allemands, dans J.-B. Mencken, Scriptores rerum german.. t. ii, col. 265 ; t. iii, col. 250 L’affaire est exposée au long dans B. Kaltner, Konrad von Marburg und die Inquisition in Deulschland, Prague, 1882, p. 90-95.

A ce procès de Henri Minneke avait déjà été mêlé Conrad de Marbourg, lequel, depuis 1214, avait rempli en Allemagne diverses missions plus ou moins officielles, où il s’était fait remarquer par son zèle contre