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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 9.1.djvu/581

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LUTHER. LA PÉRIODE CATHOLIQUE

chiffre 1-40 qui, parfois suit celui de la page, indique la ligne où se trouve le passage cité.

I. La période catholique (1183-1517). — On étudiera successivement les circonstances extérieures de la vie de Luther et sa formation intérieure.

I. LA VIE EXTÉRIEURE — 1° Enfance et première jeunesse. — Martin Luther naquit à Eisleben, petite ville de Saxe, le 10 novembre 1483 ; mais, six mois après sa naissance, ses parents allèrent, non loin de là, se fixer à Mansfeld. Son père, Hans Luther travaillait dans les mines de cuivre des environs de Mœhra. Sa mère, Marguerite Ziegler, était des environs d’Eisenach ; elle appartenait à une vieille famille du pays.

Le vrai nom de la famille était Luder. Mais ce mot était, et est encore quelque peu aujourd’hui, une sanglante injure, quelque chose comme mauvais garnement. Vers 1502, Luther changea ce nom en celui sous lequel il sera connu désormais. K. K., t. i, p. 12, 754. Plus tard, il attribuera cette modification à la malveillance de ses adversaires. T. R., t. iv, n. 4378 (1539). C’était confondre sa situation de 1512 avec celle de 1539.

Les gens de ces contrées étaient énergiques, durs même, entêtés et âpres sur leurs droits. Sur ces divers points, Hans Luther et sa femme elle-même semblent l’avoir encore emporté sur leurs compatriotes. L’enfance de Luther fut triste et austère. Mais les anciens historiens ont sans doute exagéré la pénurie de la famille.

Tout petit, l’enfant fut conduit à l’école de Mansfeld. Puis, à quatorze ans (1497), il va étudier loin de chez lui, à Magdebourg probablement dans l’école attachée à la cathédrale. Pour sa vie religieuse, il allait chez les frères de la vie commune. L’année suivante, il est à Eisenach. Là, selon un usage fréquent, il chante devant les maisons, en demandant

« du pain pour l’amour de Dieu ». Une dame de la ville,

Ursula Cotta, est charmée par le chant et les manières de l’adolescent ; elle le prend chez elle. Au bout de deux ou trois ans, n’ayant plus rien à apprendre à Eisenach, il partait pour l’Université d’Erfurt, la plus florissante d’Allemagne à cette époque ; il s’y faisait inscrire pour le semestre d’été de 1501, sous le nom de Martin Ludher, de Mansfeld. Il devait y suivre les cours de droit. Mais, selon l’usage, il appartint d’abord à la faculté des arts. Il y suivit un long cours de philosophie, mélange de métaphysique, de logique, d’astronomie et de sciences naturelles, le tout exposé dans le latin de l’école. Cet enseignement était à la base des études de droit et de médecine, aussi bien que de celles de théologie. En apparence, plus qu’en réalité, il était tout dominé par le respect d’Aristote.

Sur le terrain du dogme, a-t-on dit, Erfurt aurait été alors travaillée par des désirs de nouveautés ; des propos quelque peu mystérieux s’y seraient tenus en faveur de l’autorité méconnue de l’Écriture sainte. Mais ces propos ne paraissent pas avoir dépassé ce qu’autorise une stricte orthodoxie catholique ; en comparaison de ceux qu’ailleurs on se permettait alors contre le clergé et la papauté elle-même, ils devaient être assez anodins. Jean de Wesel, dont on a souvent parlé à ce sujet, ne s’engagea dans cette voie qu’après son départ d’Erfurt, dans sa période de prédication à Worms et à Mayence. Ce serait plutôt en philosophie qu’à Erfurt on trouverait alors des hardiesses, ou plus exactement une décadence ; un peu comme partout, on y avait abandonné le vigoureux réalisme du xiiie siècle pour un nominalisme sans consistance.

A Erfurt, Luther se lança passionnément dans le vaste champ qui s’ouvrait devant lui. Il se livra particulièrement à l’étude de la philosophie. Il fréquenta fort peu les humanistes ; ses écrits, certaines de ses paroles nous montrent que chez lui les préoccupations de la Renaissance restèrent toujours à l’arrière plan.

Les succès vinrent vite couronner l’intelligence et le travail de l’étudiant. Le 29 septembre 1502, il est reçu bachelier es arts libéraux, ou mieux en philosophie, le deuxième sur cinquante-sept ; à l’Épiphanie de 1505, maître en la même faculté, le deuxième aussi, sur dix-sept. En même temps, des paroles d’admiration viennent lui ouvrir de vastes horizons. Un jour qu’il était malade, le père d’un de ses mais lui dit : « Mon cher bachelier, ne vous tourmentez pas ; vous serez un jour un grand homme. » Enders, t. viii, p. 160 (1530) ; T. R., t. i, n. 223 (1532). Plus tard, son supérieur Staupitz lui tiendra des propos du même genre. Enders, t. viii, p. 160 (1530). Ce n’était là sans doute que paroles amicales et réconfortantes, mais chez Luther, un écho intérieur prit soin de les renforcer ; c’étaient des oracles prophétiques, dira-t-il en les rappelant de longues années après. Voir aussi T. R., t. i, n. 147 (1532) ; t. iii, n. 3593 (1537) ; t. v, n. 6059, 6435.

Au semestre d’été de 1505, il commence, suivant l’usage, à enseigner les arts libéraux ; mais, dans sa pensée et plus encore dans celle de son père, cette carrière peu lucrative ne devait être que transitoire ; aussi, dans le même semestre, commença-t-il l’étude du droit.

L’entrée au couvent. — Tout à coup, le 17 juillet 1505, il entre chez les augustins d’Erfurt. Pourquoi cette décision subite ? Quinze jours auparavant, le 2 juillet, il revenait d’un voyage dans sa famille. Arrivé à Stotternheim, près d’Erfurt, il est assailli par un orage. Un éclair l’aveugle ; la foudre éclate auprès de lui. « Sainte Anne, s’écrie-t-il, venez à mon secours, et je me ferai moine. » T. R., t. iv, n. 4707 (1539). Nouveau Paul, il avait été terrassé, enlevé à ses amis, et poussé dans un cloître. Enders, t. ii, p. 208 (1519). La ressemblance avec Paul se serait accrue d’une vision, « vision terrible », d’où il avait conclu qu’il devait se faire moine. Récit de Justus Jonas, publié dans Theologische Studien and Kritiken, 1897, p. 578. Luther fit un postulat de quelques semaines, puis un noviciat d’un an ; vers la fin de 1506, il prononçait ses vœux. Quelques mois après, il était ordonné prêtre, peut-être le samedi saint 3 avril 1507 ; le 2 mai suivant il disait sa première messe. Après sa profession, ou peut-être seulement après sa première messe, il commença ses études théologiques. De 1501 à 1505, étudiant laïque, il avait suivi un cours de philosophie ; c’est vraisemblablement la raison pour laquelle dans son ordre il fut aussitôt admis à étudier la théologie. A l’étude des sciences sacrées, étude calme, reposée, sous la conduite de professeurs, il ne put consacrer que dix-huit mois, deux ans au plus ; subitement, à l’automne de 1508, on l’envoyait comme professeur à l’Université de Wittenberg. De cette précipitation ne pouvait sortir une solide formation, ni religieuse, ni théologique.

A vingt-sept ans, voilà donc Luther à peu près son maître, du moins pour la direction intellectuelle de sa vie, et son maître, dans une jeune université : elle avait été fondée en 1502, et c’était l’année même de l’arrivée de Luther qu’elle avait reçu ses statuts. W. Friedensburg, Geschichte der Universitä Wiitenberg, 1917, p. 25.

Le professorat. — Wittenberg contribue beaucoup à faire comprendre Luther. Là, sa nature ardente, indomptée, excitable et outrancière fut dans son véritable élément. Là, il put se livrer impunément à son penchant pour les affirmations globales ; autour de lui il ne trouva guère de contrepoids. L’ordre des ermites de saint Augustin avait peu de traditions, et surtout peu de traditions théologiques. Datant de la