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LUTHER. LES THÈSES SUR LES INDULGENCES
« J’aurais presque besoin de deux secrétaires ; tout le

jour durant, je ne suis guère occupé qu’à écrire des lettres ; j’en viens à me demander si je ne dis pas constamment les mêmes choses. Puis, je suis prédicateur à la chapelle du couvent et lecteur au réfectoire ; tous les jours on m’appelle à la paroisse pour y prêcher ; je suis régent des études, vicaire du district, c’est-à-dire onze fois prieur ; questeur des poissons à Leitzkau, mandataire à Torgau pour l’église paroissiale de Herzberg ; lecteur sur saint Paul ; je revois mes Dictées sur les Psaumes. J’ai rarement le temps de réciter mes heures et de dire ma messe. A tout cela, s’ajoutent les sollicitations de la chair, du monde et du démon. » Enders, t. i, p. 66, 67.

Pour son bréviaire, il serait exagéré de dire qu’à cette époque et les années suivantes il l’omettait toujours ! Plus tard, il fera volontiers des confidences à ce sujet. En 1531, il disait à table : « En 1520, par un coup de sa puissance, notre Seigneur Dieu m’a arraché à mes heures canoniques. J’écrivais déjà beaucoup, et je les gardais à dire pendant toute une semaine. Puis, je m’en acquittais le samedi, si bien que de tout le jour je ne pouvais ni boire ni manger. J’étais si énervé que je ne pouvais dormir ; le docteur Esch dut me donner un soporifique ; je m’en ressens encore dans la tête. » T. R., t. ii, n. 1253. En 1542, il notait la gradation descendante de la récitation de son bréviaire ; ce fut le bréviaire de quatorze jours qu’il garda à réciter d’un coup, puis celui de quatre semaines, puis celui de trois mois. Cette fois c’était trop ; il négligea d’entasser la lecture de ces quatre-vingt-dix jours. Et ce fut fini. T. R., t. v, n. 5428.

Ces récits nous font descendre jusqu’en 1520. Ce sera alors aussi que Lucas Cranach gravera les traits de Luther pour la première fois, des traits émaciés et anguleux. Voir Hans Preuss, Lutherbildnisse, 1918, n. 3. « Voyez, a-t-on souvent répété, voyez combien ce visage porte l’empreinte des mortifications que Luther a relatées en gémissant ! » Eh bien, non ! ce n’est pas des années monastiques de 1505 à 1510 que ces traits portent l’empreinte, c’est des travaux de 1520, c’est plus encore peut-être des angoisses religieuses de cette époque, angoisses qui l’année suivante arracheront au reclus de la Wartbourg des cris si poignants. Rien ne laisse soupçonner que jusque vers 1515 Luther ait particulièrement souffert au couvent. Mais en 1515, il en arrivait à délaisser à peu près complètement les rites de son ordre, et il se séparait de la doctrine même de l’Église. En 1520, l’Église achèvera de le rejeter et, en 1521, il sera condamné par l’Empire. Or, les dernières années de sa vie, un besoin de dénigrement aidant, la période de 1515 à 1521 et même à 1521 put fort bien se présenter à lui comme de l’époque de sa vie monastique. En 1521, c’est en moine augustin qu’il comparut à Worms devant l’empereur et les États. A son ordre, il avait même été plus attaché qu’il n’osait sans doute se l’avouer à lui-même ; ce ne sera que le 9 octobre 1524 qu’il en quittera définitivement l’habit. T. R., t. iv, n. 4414, 5034 ; t. v, n. 6430 ; K. K., t. i, p. 561, 562.

Complexion physique et morale le portant à l’inquiétude, négligence à se commander à lui-même, délaissement de la prière, orgueil, activité trop humaine et tourmentée, toutes ces dispositions fâcheuses se renforcèrent de causes intellectuelles, je veux dire d’une philosophie et d’une théologie défectueuses. Nominaliste, il fut porté à croire à un Dieu capricieux ; pour contenter ce Dieu, il ne sut plus comment agir. Augustinien excessif, il prit les mouvements involontaires de la concupiscence pour des péchés ; d’où il estima que toute notre activité était corrompue. Vaguement platonicien, il crut que pour taire le bien, il suffisait de le connaître, que la foi produisait infailliblement les œuvres. Nominalisme, augustinisme, vague platonisme contribuèrent à le jeter hors de son ordre et de l’Église.

II. Des thèses sur les indulgences a la condamnation par l’Église et par l’Empire. (1517-1521). — Le 31 octobre 1517, Luther affichait 95 thèses sur les Indulgences à la porte principale de la chapelle du château de Wittenberg.

En affichant ces thèses, il était lui-même fort loin d’en saisir la portée. Bien moins encore avait-il entrevu jusqu’où ce premier acte allait l’entraîner. Mais les thèses deviennent bientôt fameuses ; elles se répandent avec la rapidité de la foudre ; partout à peu près ce fut l’applaudissement pour le moine hardi

« qui osait dire la vérité ». L’Allemagne, puis une

grande partie de l’Europe se lèvent, haletantes, pour marcher après lui ; succès absolument imprévu et inespéré, succès prodigieux, qu’on ne pourrait guère comparer qu’à celui de l’Islam, dans les dix années qui suivirent la mort de Mahomet. Tout à coup, Luther devint l’apôtre d’un nouveau règne de l’Évangile. Alors, ce furent pour lui des années vertigineuses ; la faveur dont il se sentait entouré, les attaques de ses ennemis, une nature fougueuse et emportée, tout l’amena rapidement aux dernières conséquences de sa théorie sur la justification et de son acte d’indépendance à l’égard de Rome. De tempête en tempête, le tourbillon où il s’est engagé finira par le jeter, au milieu de la nuit, dans la solitude de la Wartbourg (4 mai 1521).

I. LES PREMIÈRES LUTTES (31 Oct. 1517-20 oct. 1518). — Les écrits succèdent aux écrits. En 1518, c’est en allemand un sermon acerbe, sur l’Indulgence et la Grâce, en latin des solutions sur la valeur des indulgences, où il accentue ses 95 thèses, des Astérisques, pour répondre aux Obélisques de Jean Eck, une Franchise au sujet du sermon Sur l’Indulgence et la Grâce papales, pour répondre à une attaque de Tetzel, un sermon Sur la valeur de l’excommunication, une Réponse au Dialogue de Sylvestre Priérias sur le pouvoir du pape.

Cependant, que faisait Léon X ? De très bonne heure, quoi qu’on en ait dit, il s’occupa de l’agitation provoquée par Luther ; en tout il était très informé. Dès le commencement de décembre 1517, l’archevêque de Mayence faisait parvenir à Rome des renseignements à ce sujet ; le 3 février suivant, le pape chargeait de l’affaire Gabriel de la Volta, représentant du général des augustins : il fallait, lui écrivait-il, s’opposer promptement à ce qui pouvait devenir un grand incendie.

Mais dans toute cette affaire, Léon X se montre à nous gêné, complexe, et finalement inférieur à sa tâche. Il fut un prêtre digne, semble-t-il, supérieur sur ce point à ses deux prédécesseurs immédiats, Alexandre VI et Jules II. Toutefois, les recherches récentes ne l’ont pas grandi ; pour l’intelligence, elles nous le montrent inférieur à Jules II. et pour ses préoccupations, animé d’un esprit peu chrétien : il aimait la politique, la chasse, la comédie, les arts et les bouffons. Médicis, il comprend plutôt le gouvernement de l’Église comme un tissu de négociations diplomatiques et de tractations commerciales, l’ois, il était peu énergique ; c’était un lettré délicat et sans enthousiasme, Aussi ne paraît-il pas avoir même songé à une réforme qui eût sauvé l’Église, en l’ébranlant un instant. Comme pape, Léon X n’ose donc pas, peut être même ne peut-il pas accomplir une reforme catholique. Pourtant. il sent assez, que les abus ont fait irruption dans l’Église. Sans doute, à l’endroit de ces abus, il ne peut prendre lui-même l’attitude d’un humaniste frondeur ; mais cette attitude il la comprend assez chez les autres. S’il conférait seul à seul avec