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LUTHER. L’EVENEMENT DE LA TOUR


tère, le voyageur cherche à interpréter les mille bruits sortant des ténèbres, et se tourne avec ravissement vers les premières lueurs de l’aurore. Ainsi, perdu dans la forêt du Moyen Age expirant, n’ayant pour s’y conduire que les sentiers indécis du nominalisme, Luther, l’âme haletante, peu équilibrée, mal orientée vers Dieu, écoute anxieusement les mille bruits qui montent de son âme, de la nature et de la société. Il salue d’un chant de délivrance ce qu’il croit être l’aurore : la justification d’après l’augustinisme de ses confrères et d’après le platonisme de son général. Il en fera sa théorie de la justification par la foi sans les œuvres. Mais de leurs idées, les augustiniens, Gilles et les autres « papistes », n’avaient su faire aucun usage sortable ; lui, il saura « tirer l’or du fumier d’Ennius ».

Dans le couvent de la Porte de Peuple, il rencontra Seripando ! Gilles avait dirigé les études de celui qui un jour devait être son successeur. Au mois de mai 1510, il le faisait venir à Rome. Né le 4 mai 1493, le jeune augustin avait donc alors dix-sept ans. Il devait, nous dit son historien, étudier la dialectique à Rome et les lettres grecques à Viterbe. Conc. Trid., t. ii, p. lxji.

C’était l’époque, en effet, où Gilles séjournait à l’est de Viterbe, dans le couvent du mont Cimino, l’époque où il écrivait et sans doute aussi enseignait son Commentaire sur le premier livre des Sentences, selon l’esprit de Platon. Quelques mois après, au mois de janvier 1511, Luther, lui aussi, arrivait à Rome. Le moine allemand de vingt-sept ans et le jeune moine italien de dix-sept, le futur hérésiarque et le futur général des augustins, vécurent dans le même couvent ! On aime à se représenter ces deux jeunes gens, intelligents, pleins d’ardeur, écoutant ce qui se dit autour d’eux.

Si, trente-cinq ans après, Seripando devait émettre au Concile de Trente des idées similaires à celles de Luther, mais c’est sans doute que tous les deux les avaient puisées à la même source, peut-être près de quelque professeur augustin enseignant à Rome en 1511, plus simplement dans l’air ambiant du couvent. Dans des conversations, les deux jeunes moines s’étaient confirmés dans ces idées I

Le voyage de Luther à Rome dut avoir sur l’orientation de sa vie une influence profonde, sur son orientation non pas à l’égard de la papauté, comme on le croyait autrefois, niais à l’égard tic la vie monastique et de la vie chrétienne en général. Voilà ce sur quoi tous aujourd’hui tombent d’accord, catholiques et protestants. II. Grisar, t. i. 1911, p. 25 sq. ; (). Scheel, t. ii, p. 298 sq. Eh bien I il faut sans doute aller plus loin : la nouvelle oriental ion de Lut lier dans son ordre a dû correspondre à un changement dans ses idées théologiques et philosophiques ; s’il commença à estimer alors que l’observance n’était pas nécessaire, cil ait qu’en théologie il avail appris à faire peu de cas d’une activité corrompue, en philosophie à faire peu de cas d’une activité extérieure, inutile à la vie de l’Ame.

Les germes de sa théorie de la justification seraient donc en partie venus de son voyage en Italie. Vers cette conclusion, raisons prises de l’Italie, raisons pri ses de Luther concourent également.

Ainsi, veri 1510, Lui lier nous apparaît sous une double série d’influences. Par ses éludes, par la tête il est nominalisle ; il adhère à ce demi-rationalisme qui accorde beaucoup aux forces de la volonté naturelle, et les fait même empiéter sur le domaine surnaturel. Mais il est tourmenté par des préoccupations

religieuses, surtout au sujet de sa prédestination ; il a des tentations d’abattement, de désespoir, de bains de

Dieu. Il lit des (ruvres de piété et de consolation. Par la piété, par le CCCUT il se sent arraché au nominalisme. El il se rejette violemment vers des doctrines pessi

mistes, qui voient le mal siégeant dans l’homme en permanence. Des influences ont dû agir sur lui en ce sens, influences écrites, sans doute aussi influences orales. Longtemps on a cru ne pouvoir mentionner que celle d’Augustin. Par certaines paroles de Luther, plus encore par certains traits de sa théorie de la justification, on voit qu’il y a eu davantage encore celle de l’augustinisme. Ainsi, dans le non-baptisé, Luther estime que tout mouvement involontaire de la concupiscence est un péché mortel. C’est ce qu’avaient professé expressément plusieurs augustiniens et saint Anselme lui-même. Il faut en dire autant de la passivité de l’âme sous l’action de Dieu. Preuve plus décisive encore : c’est de l’école augustinienne, beaucoup plus que d’Augustin, que Luther tire une partie de sa terminologie. Chez lui, on le verra, les textes d’Augustin sont modifiés comme le faisait l’augustinisme : où saint Augustin avait é~rit concupiscence, plusieurs augustiniens, avant Luther, avaient substitué le mot pue hé

Mais de Luther à Augustin et aux augustiniens, jusqu’où est allé la ressemblance ? Identification du péché originel et de la concupiscence, culpabilité de la concupiscence et des mouvements involontaires qu’elle produit en nous, mal intrinsèque du mariage, invincibilité de la concupiscence, impossibilité d’accomplir la loi, inutilité des œuvres pour le salut, serf arbitre et passivité de l’homme sous l’action de Dieu, foi justifiante, justice extrinsèque et simplement imputée, certitude de la grâce et du salut, voilà, comme on va le voir, les thèses fondamentales de Luther. Faut-il dire que toutes ces thèses « étaient connues longtemps avant lui ; qu’à son époque même, soit dans son ordre, soit ailleurs, elles trouvaient des défenseurs catholiques » ? A.-V. Millier, 1912, p. vu ; 1915, p. 157. Non. Comme on le verra dans la suite, ce qui avant tout amena Luther à sa théorie de la justification, ce fut sa race, son époque, sa nature. De là, chez lui, une théorie vraiment nouvelle, une théorie redoutable, couronnée par la négation farouche de la liberté humaine et la disjonction entre la religion et la morale.

IV. la CRISE DE LUTHER. L’ÉVÉNEMENT HE LA FOUR, — Mais avant d’étudier cette théorie en détail, il est important de rechercher à quelle époque Luther l’enfanta.

Dans les notes sur les Sentences, de 1509 à 1511 environ, on en trouve déjà des linéaments. Vers 1518, avec la certitude de l’état de grâce et du salut, elle était achevée. L’élaboration en a donc duré environ huit ans. Luther avait de vingt-sept a trente-cinq ans ; c’est l’âge de l’audace.

La nouvelle théorie aura deux pôles : un pôle négatif, pessimiste, la corruption radicale de la nature déchue ; un pôle positif, optimiste, la justification par la foi.

De bonne heure, on vient de le voir, peut-être dès son noviciat ou ses études de théologie à Krfurt. Luther semble avoir reçu des notions ou confidences, avoir fait des lectures le poussant à la réaction contre l’optimisme Bominaliste, l’amenant à des vues pessi mistes sur la condition de l’homme déchu. En 15101511, son voyage en Italie dut lui faire faire en ce sens un pas considérable.

Mais à quel moment placer la découverte capitale, celle du pôle positif et optimiste de la théorie, la découverte de la foi justifiante ?

A cette question, Luther a lui-même répondu In 1545, ses amis commencèrent une édition complète de ses œuvres latines, lai tête du premier volume, il a mis une préface ou se trouve un passade souvent Cité. Il v dit que sa déCOUDtrlt de i lù’timjilr remonte a

son second Commentaire $ur les Psaumes, en t.~>ri Op. lid. nir. are., t. t, p. 22, 23. Jusque la, dit-il, il

avait entendu la justice de Dieu au sens philoso