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LUTHER. LA CERTITl (DE 1)1° SALI I

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sons à Dieu, non par le mérite de nos œuvres, mais par la faveur de la miséricorde qu’il nous a promise. Si nos actes sont insuffisants ou mauvais, nous savons qu’il n’en tiendra pas compte, mais qu’il nous le pardonnera paternellement et qu’il y remédiera. Voilà pourquoi tous les saints se sont glorifiés en leur Dieu.. W., t. xviii, p. 783, 17.

Ainsi, comme point de départ, corruption de la nature, sombre découragement ; comme point d’arrivée, abandon quiétiste à la bonté de Dieu, confiance dans une promesse spéciale de me sauver.

Jusqu’à la fin, Luther continua d’estimer que sur leur justification présente, sur l’inamissibilité de cette justification et par conséquent sur leur salut futur, lui et les siens recevaient d’en haut des assurances d’un genre à part. Assurément, dit-il dans son Commentaire sur la Genèse, par la providence générale, nous ne savons rien de la prédestination. Mais c’est là le secret du « Dieu caché ». A côté de ce « Dieu caché », il y a le « Dieu révélé ». Par Jésus-Christ, « tu peux être certain de ta foi et de ton salut, et dire : « Celui qui « croit au Fils a la vie éternelle. » Et Luther proteste que c’est bien là sa pensée ; après sa mort, ses disciples auront à la maintenir contre ceux qui la dénatureraient. X., t. xliii, p. 463, 3-17 (1541-1542).

Je puis avoir la certitude de mon salut ; donc je le dois : c’est là pour moi une obligation. Contre cette certitude, des doutes, des tentations se présenteront ; je ne dois pas m’y arrêter. Le catholique rejette les cloutes contre la doctrine et contre les sacrements, contre l’Église, dépositaire de cette doctrine et de ces sacrements ; ainsi le luthérien rejettera les doutes contre la confiance en Dieu, contre l’application que Dieu lui fait des mérites de Jésus-Christ. « Tous les jouis nous devons lutter davantage pour aller de l’incertitude à la certitude, travailler à extirper radicalement cette opinion si pestilentielle que l’homme ignore s’il est en grâce avec Dieu. » W., t. xl a, p. 579, 17, et les pages précédentes ; de même p. 299, 29 (1535).

Ainsi s’ébauchait la théorie du témoignage de l’Esprit et celle, toute voisine de l’expérience religieuse. Ce témoignage de l’Esprit, nous répète Luther, le chrétien doit le provoquer en lui ; il doit travailler à produire, à augmenter en lui la certitude de sa grâce présente et de son salut futur. Corruption radicale de l’homme déchu, quiétisme absolu, serf arbitre, tout cela en réalité n’appartient qu’au monde du vieil homme. Tout à coup, en entrant dans le domaine de la foi justifiante, nous sommes dans un monde où toutes ces destructions ont été oubliées. L’homme devient capable d’énergie, et il serait coupable de n’en pas déployer. Il devra travailler à l’œuvre des œuvres, l’appréhension de son salut par la foi. Luther en arrivera à dire que douter de sa justification et de son salut, c’est commettre le péché irrémissible, le péché contre le Saint-Esprit. Erl., t. viii, p. 238 (1527) ; W., t. xlv, p. 660, 10(1538) ; t. xlvi, p. 346, 13 (1538) ; t. xliv, p. 413, 15 (1543 ?)

Mais doctrine révélée, Église catholique ont leurs titres de possessions : nous avons des preuves qu’elles viennent de Dieu. En est-il ainsi de l’application infaillible des mérites de Jésus-Christ à chacun de nous ? Tous les hommes ne seront pas sauvés ; d’après Luther, c’est même le petit nombre qui le sera. Par exemple, W., t. xviii, p. 783, 34 (1525). Où avait-il donc trouvé, pour lui et pour les siens, la certitude d’appartenir à ce petit nombre ? Qu’on interroge l’horizon, qu’on y cherche une réponse. On n’en trouvera que deux de plausibles ; cette certitude, elle venait ou d’une révélation divine, ou d’une autosuggestion. Or les preuves, ou mieux les plus faibles indices en faveur d’une révélation, qu’on les montre !

A elle seule, la sombre désespérance qui s’empara de

Luther et de ses disciples ne suffirait-elle pas à montrer que sur l’état présent et futur de leur âme ils n’avaient reçu aucune certitude 1 Mais, nouvelle merveille ! De ses doutes mêmes, de ses > angoisses », Luther sait fort bien s’accommoder ! Il n’y a pas là de motif de se désespérer, a Personne ne possède bien cette certitude… Il n’y a rien de plus pestilentiel que la sécurité ; lorsque tu sentiras la faiblesse de ta foi, c’est alors que tu devras prendre confiance. » W., t. xxv, p. 331, 20 (1532-1534).

D’ailleurs n’est-il pas évident que cette certitude serait fort dangereuse et finalement fort immorale ! Ainsi assurés de leur salut, l’immense majorité des humains ne dépenserait plus aucune énergie pour le bien. Il est vrai qu’à l’avance Luther a ruiné l’objection ; cette libre énergie pour le bien, il a commencé par en enlever à l’homme toute possibilité.

3° Les causes de la théorie. — C’était pour être certain de sa justification et de son salut que Luther était entré au couvent. Il voulait être assuié d’avoir Dieu avec lui. Autrefois, le catholique était certain des sources de la grâce : révélation et sacrements : il ne l’était pas autant de leur descente dans son âme. Luther a donc déplacé cette certitude, il l’a fait descendre de l’objet au sujet, de Jésus-Christ à nous ; il a voulu la certitude intime de son propre salut. O. Scheel, Dokumenle zu Luthers Entwickelung, 1911, n. 9-28. Partout, dans son œuvre, on se heurte à cette tendance au subjectivisme qui devait s’épanouir dans le panthéisme allemand du xixe siècle.

Mais la tendance au subjectivisme n’eût sans doute pas suffi à faire éclore cette théorie singulière. Vers 1518, c’était son intérieur tout entier, c’étaient toutes les voix de son âme qui la réclamaient. Il n’est que trop aisé d’imaginer combien alors cette pauvre âme était torturée. Il sent gronder en lui les passions mugissantes de l’âge mûr ; vagues immondes, elles montent à l’assaut de sa volonté. Le « démon de midi » agite violemment ses sens et son cœur. Il n’a plus confiance en ses œuvres, même faites en union avec Jésus-Christ. Il n’a plus confiance en l’Église : dans son cœur, dans sa tête, dans tout son être, le vent de la révolte souffle bruyamment en tempête. Pour peindre cette angoisse, il trouve des accents d’une sombre désolation. En 1515-1516, il dit dans son Commentaire sur l’Épître aux Romains : « Puisque nous ne pouvons accomplir la loi de Dieu, et qu’ainsi nous sommes toujours dans l’injustice, il ne nous reste plus que la crainte constante du jugement. » J. Ficker, t. ii, p. 124, 27. En 1525, revenant sur son passé, il dit que se voyant sans liberté, peut-être prédestiné à l’enfer, il a été poussé « au fond de l’abîme du désespoir ». W., t. xviii, p. 719, 10.

Pourtant il est, il va devenir de plus en plus un homme de lutte, c’est-à-dire un homme qui, après les combats de la journée, sentira la faiblesse humaine reparaîtra chez lui ; qui, le soir, retombant sur lui-même, aura besoin de consolations. A tout prix, il lui faut sortir de cet enfer, il lui faut un réconfort. Mais Catherine Bora n’est pas encore là ; et, d’ailleurs, les consolations qu’elle lui apportera iront-elles sans réticence ; ne peut-on pas croire, au contraire, que jusqu’à la fin elles furent mélangées de remords ? Le vrai réconfort, ce sera donc la certitude de sa justification et de son salut. Pour en arriver à la confiance absolue sur son sort éternel, il se surexcitera, il se suggestionnera.

Enfin, cette certitude de la grâce et du salut entrait merveilleusement dans la synthèse de ses tendances ; elle en était la clé de voûte, l’éclosion naturelle. Cette synthèse commence par la corruption radicale de l’homme ; elle se continue par le serf arbitre, la prédestination et la passivité : elle se termine par la foi justi-