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    1. LUTHER##


LUTHER. LA RELIGION ET LA MORALE

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venture, saint Thomas considèrent cette vie comme un habilus infus en nous ; d’où l’expression de grâce habituelle, pour désigner la permanence de nos bonnes relations avec Dieu. La grâce est une qualité résidant dans notre âme, ou mieux un groupe de qualités, résidant dans l’essence de l’âme et dans nos puissances supérieures. Ainsi, au péché de la concupiscence, tel que l’entendaient les anciens augustinicns, à la référence permanente à Adam, le vieil homme, on substituait dans l’âme une vie surnaturelle permanente, une référence permanente à Jésus-Christ, l’homme nouveau. Les grâces actuelles subséquentes à la justification n’avaient plus pour effet de détruire peu à peu le péché de la concupiscence, mais d’augmenter la grâce habituelle qui avait régénéré l’âme et qui lui restait inhérente.

Mais çà et là, et surtout chez les augustins, l’ancienne théorie dut garder des partisans. Sous les réticences de Seripando au concile de Trente, on distingue nettement qu’il n’admet pas ces habitus qu’on est allé chercher chez les philosophes. Ci-dessus, col.)203. En même temps, il demandait aux Pères du concile « de ne pas anathématiser ceux qui rejetaient « la grâce inhérente », non qu’il la niât, mais parce que « c’était un mot nouveau ». Conc. Trid., t. v, p. 664, 34.

Les nominalistes avaient gardé la théorie des habitas. Occam et Biel distinguaient entre les habitus acquis et les habitus infus. Occam, In Sent., III, q. viii, surtout au début et vers la fin, Lyon, 1495, f° Miiij sq., surtout lettres A et T ; IV, q. viii, ix, vers la fin, Lyon, 1495, f « U, lettre X ; Biel, In Sent., II, dist. XXVI, q. unica, concl. 3, Tubingue, 1501 ꝟ. 4, E ; II, dist. XXX, q. i, concl. 3, f° Q i, D ; IV, dist. IV, q. i, notamment au début, à la fin du f° D, sect. C. Mais avec quelle hésitation et quelle transformation ils présentaient cette théorie ! Pour eux, la grâce sanctifiante existait bien de fait, mais en droit elle n’était pas nécessaire ; de puissance absolue, Dieu eût pu donner à un état et à des actes naturels une valeur surnaturelle. Ils admettaient aussi la pluralité des habitus. Occam, In Sent. IV, q. iii, a. 3, 2 a diff., Lyon, 1495, f° R. 6, lettre I ; Biel, In Sent., III, dist. XXVI, q. unica, a. 2, concl. 3, Tubingue, 1501, ꝟ. 00 3, lettre H ; dist. XXXIII, q. unica, a. 2. concl. 2, f° RR 2, lettre E ; dist. XXXIV, q. unie, a. 1, nota 2, f° RR 2, lettre B ; IV, dist. IV, q. i, a. 1, nota 4, f » E, lettre E. Mais, bien qu’au travers de nombreuses subtilités, ils niaient la distinction réelle entre la substance de l’âme et ses puissances. Par exemple, Occam, II, q. xxiv, au milieu, Lyon, 1495, f° H, lettre K ; q. xxvi, vers le début ; 1495, f° I, lettre C ; Biel, II, dist. XVI, q. unie, a. 2, concl. 1, 1501, f° Lij, lettre N ; Altenstaig, Vocabul., article Potentiæ. Logiquement, ce n’était donc plus qu’un seul habitus qu’ils auraient dû reconnaître dans l’âme entière.

2. Luther : rejet des habitus ; la grâce, union directe avec Dieu. — Par sa formation théologique, Luther ne pouvait donc guère aimer Zes habitus. Des dispositions propres devaient davantage encore l’exciter contre eux. Intuitif et sensitif, il ne peut croire à des réalités qu’il ne voit pas, qu’il ne sent pas. Cette grâce habituelle, dont il ne sent pas la présence en lui, le tourmente de plus en plus. L’absolution reçue, on lui dit que cette grâce est en lui. Mais il se sent à peu près aussi enclin au mal qu’auparavant, plus enclin peut-être, à des moments d’exaspération ou de tentation.il sent sourdre en lui les appétits de la chair, la révolte contre Dieu : comment donc pourrait-il se croire vraiment et complètement en grâce avec lui ? De là, des sentiments de désespoir. Non, il n’est pas vraiment justifié, il lui faut donc trouver une théorie théologique qui lui permette de ne pas croire à cette justification. Or un certain augustinisme parle

peu de réalités profondes subsistant au-dessous des émotions de l’âme. En outre, on y estime que les mouvements impulsifs de la concupiscence sont des péchés. Beaucoup plus que le thomisme, cet augustinisme permet donc à Luther de confondre son amour pour Dieu ou son aversion contre lui avec ses émotions tumultueuses. Ce sera de ce côté qu’il se tournera. W., t. iv, p. 665, 13 (1515). Il pourra ainsi réagir contre Thomas et sa métaphysique.

Puis, il veut une vie intime avec Dieu. Il rejettera donc cette « grâce créée, pour s’unir directement à Dieu lui-même. « Un idéalisme panthéiste plaît à l’esprit allemand, comme le platonisme à l’esprit grec. » R. Seeberg, Die Lehre Luthers, 1917, p. 15-17. Or, pour le panthéiste, Dieu et le monde ; vie naturelle et vie surnaturelle ; religieux, prêtres et laïques, tout cela, c’est un tout. C’est bien là le terme des tendances de Luther.

Aussi, .dès ses Notes sur les Sentences (1509-1511), il témoigne de sa mauvaise humeur contre la théorie de la grâce habituelle. « En disant que c’est l’Esprit-Saint qui est notre habitus, écrit-il, il ne semble pas que le Maître des Sentences avance une si grande absurdité. Cette invention des habilus vient d’Aristote, ce philosophe rance. » W., t. ix, p. 43, 2. « En réalité, la charité nous est toujours donnée avec l’Esprit-Saint, l’Esprit-Saint avec elle et en elle… L’Esprit-Saint, c’est la charité. » W., t. ix, p. 42, 36 ; p. 43, 6.

Dans la suite, il rejettera de plus en plus les habitus, cette grâce froide et non sentie. Ce qui en nous était permanent, ce qui demeurait à l’état d’habitus, de modalité innée, ce n’était pas la grâce, c’était le péché originel. Puis, quand on était justifié, on était entouré de la faveur de Dieu. Il aime à répéter : J’entends la grâce dans le sens de faveur de Dieu, non dans celui de qualité dans l’âme, comme nos modernes l’ont enseigné. » W., t. viii, p. 106, 10(1521).

Pourtant, même dans le justifié de Luther, il y a quelque chose d’intérieur ; c’est la foi ou confiance. Çà et là, Luther semble même garder la foi comme habitus : « La foi est un don et un bien intérieur, opposé au -péché, qu’elle purifie… La grâce de Dieu est un bien extérieur, la faveur de Dieu sur nous, opposée à sa colère. » W., t. ym, p. 106, 20 (1521). Nous aurions ainsi sa pensée définitive, ou, si l’on aime mieux, sa tendance permanente. Dans le justifié, il y aurait deux habitus ou modalités : le péché originel ou concupiscence, habitus engendré avec nous, quelque chose de naturel, de substantiel en nous, P. Drews, 1896, p. 46, 48, n. 1, 49 (1536), la foi ou confiance, habitus octroyé par Dieu. Cette foi attire sur nous la grâce, ou faveur extérieure de Dieu : elle est notre « justice fo : nielle. elle est le Christ, vers lequel elle se tourne et qu’elle fait nôtre (ci-dessus, col. 1231).

Concupiscence et confiance, Lutljer les avait senties toutes deux, et à de certaines heures, la confiance peut-être avec autant d’intensité que la concupiscence. N’est-ce pas du reste le propre de beaucoup de religieux de s’estimer constamment, tête et cœur, sous l’influence et l’impulsion directes et senties de l’action de Dieu ?

Concupiscence et confiance : Luther devait donc en affirmer la permanence en nous. Constamment, sa théologie se montre comme le fruit de ses expériences personnelles.

V. La religion et la morale.

Nos œuvres ne sont qu’un amas de ruines, qu’un vieux matériel de démolition ; elles ne font que rappeler notre grandeur passée, la grandeur de l’homme avant la chute. Notre activité entière est inutile à notre religion. Mais la foi ou confiance nous justifie ; elle est le trait d’union entre l’âme et Dieu ; elle est notre religion. Voilà ce que nous venons de voir. Tout naturellement, une question se