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MAL. DOCTRINES ANTIQUES

il y en a un pour le bien… Presque unis les peuples, et surtout les plus sages, ont fait profession de cette doctrine, Plutarque, De Iside et Osiride, c. xlv, édit. Didot, t. i, p. 151.

Cette dernière assertion est assez exacte, si l’on ajoute que le dualisme de tous ces peuples, ou mieux de leurs philosophes, est loin d’atteindre aux formules retranchées de Plutarque.

1. Chez les peuple orientaux.

Signalons en Chine, (surtout Lao-Tseu), une timide tentative de dualisme, avec les deux principes féminin (yin) et masculin (yang). L'Un produit Deux, en se partageant en yin et yang. Deux produit trois… L’ordre, révolution et relations de l’univers et de ses parties répondent a l’ordre, au développement et aux relations des nombres. Comme ceux-ci se divisent en impairs et en pairs, ainsi les substances cosmiques se divisent en célestes et en terrestres : le nombre impair, comme plus parfait, répond aux premières ; le nombre pair, moins parfait, répond aux secondes.

Les Perses nous donnent un dualisme radical d’où sortira plus tard le dualisme théologique des manichéens, Zoroastre en est le père ; sa doctrine est exposée dans les livres sacres de l’Avesta. Qu’est-ce que le monde ? Un mélange de bien et de mal, de pensée et de matière, de vérité et de fausseté, de lumière et de ténèbres. Ce mélange suppose l’existence de deux principes, en lutte dans l’univers : l’un bon, principe de vérité et de lumière, Ormudz ; l’autre mauvais, principe de mensonge et de ténèbres, Ahriman. « Il existe deux génies, le bon et le mauvais ; ils sont également libres, et ils règnent sur la pensée, sur la parole et sur l’action. Par suite de leur opposition, ces deux génies produisent toutes les actions humaines : l’être et le non-être, le premier et le dernier sont les effets qui répondent a ces génies ou dieux. »

« Les Chaldéens supposaient que les planètes étaient autant de dieux, dont deux opéraient le bien, deux étaient malfaisants, et les trois autres participaient des qualités opposées de ces quatre premiers. » Plutarque. De Iside et Osiride, c. xlvi et xlviii, ibid., p. 452.

2. Chez les Grecs.

Bien que Plutarque prétende que « la doctrine des Grecs et connue de tout le monde », ibid., p. 453. l’on doit avancer ici avec précaution et prendre garde aux nuances.

Pour le peuple, le dualisme est une explication facile et satisfaisante. « Ils regardent Jupiter Olympien comme l’auteur de tout le bien qui se fait, et Pluton comme la cause du mal. Ils disent que l’harmonie est née de Mars et de Vénus. La première de ces divinités est cruelle et farouche, l’autre est douce et sensible. Plutarque, loc. cit.

Quant aux philosophes voici ce qu’en dit Plutarque. « Les systèmes des philosophes sont conformes à cette doctrine. Pour Heraclite, le combat est le père et roi de tout ; tous les êtres ne naissent que de l’opposition et de la contrariété. Empidocte donne au principe du bien le nom d’amour, d’amitié, souvent celui d’harmonie : le principe du mal, il le nomme la discorde et la rixe. Les Pythagoriciens appellent le principe du bien : unité, défini, stable, droit, impair, lumineux… ; le principe du mal : dyade. Indéfini, mû, courbe, pair, ténébreux… Toutes ces qualités, disent-ils, sont les principes des êtres. Anaxagore appelle le principe bon intelligence, le principe mauvais infini… » De Is., ibid., p. 153.

Il paraît en effet certain, qu’à quelques exceptions près, tous les philosophes antérieurs a Platon aboutissent au dualisme dans leurs essais d’explication du monde. Ils admettent auprès de l’Intelligence ou de Dieu, une Matière éternelle et chaotique à laquelle Dieu communique le mouvement, l’ordre et la vie, « Comme on vit qu’il y avait, dans la nature, des choses contraires aux choses bonnes, qu’il n’y avait pas seulement de l’ordre et du beau, mais aussi du désordre et du laid, que même les choses mauvaises étaient plus nombreuses que les bonnes, et les laides plus nombreuses que les belles, il se lit que quelqu’un introduisit l’amitié et la discorde comme causes respectives de ces deux classes d’étres. Car, si l’on veut suivre ce que dit Empédocle et le comprendre selon sa pensée, non selon les bégaiements de ses discours. on découvrira que l’amitié est la cause des choses bonnes, et la discorde la cause des choses mauvaises. si donc l’on disait qu’en un certain sens Empédocle a dit, et même a dit le premier, que le mal et le bien sont des principes, on parlerait peut-être assez, justement, s’il est vrai que la cause de toutes les choses bonnes soit le bien en soi. [et que la cause des choses mauvaises soit le mal]» (l’authenticité de ces derniers mots est douteuse). Aristide., Metaph., l. I. c. iv.

Aristide constate encore que Parménide aboutit aussi au dualisme, « Parménide admet comme causes, non seulement un, mais en outre, dans un certain sens, deux principes » . Metaph., t. i, c. iii. « Forcé de se mettre d’accord avec les faits, et, en admet tant l’unité par la raison, d’admettre aussi la pluralité par les sens, Parménide en revint à faire deux les causes, et deux les principes, chaud et froid, savoir feu et terre : le chaud qu’il rapporte à l’être, et le froid qu’il rapporte au non-être. » Metaph., t. I, c. v.

En est-il de même de Platon ? — A en croire Plutarque, il serait nettement dualiste. « Platon qui ordinairement aime à voiler, a envelopper sa doctrine, donne souvent au principe du bien le nom de l’Être toujours le même, et à celui du mal le nom de l’Être changeant. Mais dans son livre des Lois, qu’il composa dans un âge plus avancé, il dit en termes formels, sans énigme et sans allégorie, que le monde n’est pas dirigé par une seule âme, qu’il en a peut-être un grand nombre, mais au moins deux, dont l’une produit le bien, et l’autre, qui est opposée à celle-ci, est la cause du mal. » De Is., ibid., p. 453. Cf. Symposiaques, l. VIII, q. ii, t. ii, p. 877. Beaucoup d’auteurs, même modernes, souscrivent à ce jugement. Cf. Petau, Dogm. theol., t. i p. 519. D’autres marquent quelque hésitation. « Pour Platon, Dieu est l’Étre et le sempiternel présent, parce que seul il est ἀγέννητος et immuable, Timée, 27 sq. ; 37 sq., édit., Didot, t ii, p. 204, 209, et l’on discute cependant, non sans de graves raisons, sur le dualisme de ce philosophe. » Art. Création, t. iii, col. 2046.

Si l’authenticité des Lettres était moins douteuse, l’on pourrait s’appuyer sur la lettre ii, pour insinuer que Platon n’a pas voulu résoudre la question du mal. « Comment répondre, ô fils de Denys et de Doris, à ta question, quelle est la cause du mal en général?… Pour toi, tu m’as dit dans tes jardins, sous les lauriers, qu’après y avoir réfléchi, tu avais seul la solution de ce problème. Et moi Je t’ai répondu que, si tu avais réussi a te satisfaire, c’étaient bien des discours que tu m’épargnerais. Jamais je n’avais rencontré personne qui eût fait cette découverte, ai-je dit encore, et elle m’avait coûté force recherches. » Epist., ii, à Denys, édit. Didot, t. ii, p. 519.

Les résultats de ces recherches sont épars dans l’œuvre platonicienne, on peut les résumer ainsi. Pour Platon, Dieu est l’Être absolu, le Bien suprême, l’Idée créatrice des choses ; il est l’origine et la raison suffisante du monde intelligible des idées et du monde sensible. Néanmoins, il y a deux choses qui échappent a la causalité de Dieu : la matière et le mal.

Le mal car « Dieu est essentiellement bon, et rien de ce qui est bon n’est porté à nuire. Ce qui n’est pas