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MARIAGE EN THÉOLOGIE. INTRODUCTION

par un tribunal qui la jugerait avec impartialité, son mariage serait nul, l’incestueux s’interdisant par son crime tout mariage ultérieur. Interrog. xii, col. 705707 ; interrog. xix, col. 730. Nous avons vu que le pape Nicolas Ier ne semble pas connaître l’existence d’un semblable empêchement ; mais qu’on y ait cru en France, ce n’est pas douteux, étant données les calomnies contre Theutberge, et la sentence portée contre elle, et la façon de parler d’Hinemar. Celui-ci pense donc que, si la reine a été coupable de ce crime, son mariage est nul et Lothaire se retrouve libre. Il devrait d’abord faire pénitence, puisque légalement il est coupable d’adultère, ayant eu des rapports avec Waldrade alors qu’officiellement il était marié ; mais sa pénitence faite, il pourrait contracter un nouveau mariage. Interrog. xx, col. 731 ; cf. interrog. xxi, col. 736-738. Rien ne s’opposerait à ce qu’il prît pour femme sa concubine Waldrade, comme David, après son châtiment, prit pour femme légitime Bethsabée. Interrog. xxi, col. 738. Ici encore, Hinemar est en désaccord avec le pape Nicolas Ier, qui déclare que jamais, même si Theutberge vient à mourir, il ne consentira au mariage entre Lothaire et Waldrade.

Le traité d’Hinemar et les lettres de Nicolas Ier sont les derniers écrits de quelque importance qui nous renseignent sur le mariage. Avant les études systématiques que rendra possibles la fondation des grandes écoles, et qui feront faire à la doctrine du mariage des progrès plus considérables que pendant toute la période des Pères, c’est plus d’un siècle qui va s’écouler, e siècle de fer », a-t-on dit ; on pourrait dire aussi : siècle de ténèbres.

L. Godefroy.

III. LA DOCTRINE DU MARIAGE CHEZ LES THÉOLOGIENS ET LES CANONISTES DEPUIS L’AN MILLE.

Introduction

1. Acceptation universelle de la compétence exclusive de l’Église sur le mariage.

Depuis la fin de la période patristique jusqu’à l’an mille, la doctrine du mariage ne s’est guère développée, à cause de l’état médiocre des sciences religieuses et des limites assez étroites que la coutume ou les princes posaient à la compétence législative et judiciaire de l’Église. L’affaiblissement des États occidentaux, dans le cours du xe siècle, et les progrès de la puissance ecclésiastique devaient supprimer le second de ces obstacles.

Dans ce xe siècle désordonné, par l’effet même des désordres qui troublaient la société civile, les droits de l’Église se sont singulièrement accrus en bien des domaines jusqu’alors réservés au prince. — C’est aux environs de l’an mille que la compétence exclusive du législateur et des juridictions ecclésiastiques en matière de mariage a été reconnue dans presque toute la chrétienté. Jusqu’alors, il y avait en partage — collaboration plutôt que concurrence — entre l’Église et les États chrétiens. Le rôle de ceux-ci s’arrête dans le cours du xe siècle en France et en Italie. Esmein, Le mariage en droit canonique, Paris, 1891, 1. 1, p. 25 sq. ; Salvioli, La giurisdizione patrimonialee la giurisdizione della Chiesa in Italia prima del mille, Modène, 1884, p. 141 ; I. Fahrner, Geschichte des Unauflöslichkeitsprinzips und der volkommenen Scheidung der Ehe im kanonischen Recht, Fribourg-en-B., 1903, p. 117 sq.

Le triomphe des juridictions ecclésiastiques ne fut point accompli du même coup dans toutes les régions de France ou d’Italie. Encore au xie siècle, le Liber Papiensis et l’Expositio nous sont témoins qu’en certains lieux, les affaires matrimoniales étaient jugées par les tribunaux laïques. F. Brandilcone, Saggi sulla storia della celebrazione del matrimonio in Italia, Milan, 1906, p. 562 sq.

Les causes de cette transformation ont été diversement appréciées. « Conséquence naturelle de la généralisation de la foi chrétienne dans la société civile », pense Salvioli, suivi par E. Chénon, Le rôle social de l’Église, Paris, 1922, p. 74, 75, et Histoire générale du droit français, Paris, 1926, 1. 1. p. 393. Esmein, Brandilcone soulignent, avec raison, la cause politique. En France, l’affaiblissement du pouvoir royal permit aux juridictions ecclésiastiques de se substituer coutumièrement à la justice publique ; et il semble qu’en Italie, la concession faite par l’Empereur à de nombreux évoques de la dignité et des fonctions de comte ait préparé la compétence exclusive des évêques en matière matrimoniale.

En Angleterre, où l’évolution politique ne présente pas exactement les mêmes caractères que celle des États continentaux, la compétence exclusive des tribunaux ecclésiastiques paraît avoir été un peu plus tardivement admise : elle est incontestée au début du xie siècle. Pollock et Maitland, The history of english law before the time of Edward I, Cambridge, 1895, t. i, p. 106 sq. ; t. ii, p. 304 sq.

Si les étapes de la substitution de l’Église aux pouvoirs séculiers ne sont pas encore connues avec assez de précision, les conséquences en sont immédiatement faciles à prévoir. L’Église s’était bornée pendant le premier millénaire à défendre les principes du mariage chrétien ; il lui appartient désormais d’organiser toute la réglementation et toute la police du lien du mariage, de définir et de coordonner un régime dont elle a tout le soin, car, en même temps que la compétence judiciaire, l’Église avait acquis, naturellement, le pouvoir législatif, c’est-à-dire le pouvoir de n’appliquer que son droit et les lois séculières qu’elle aurait canonisées. Force lui était donc d’arrêter tous les principes d’un droit complet relatif au vinculum (des effets civils, elle ne s’est qu’incidemment occupée).

2. Difficulté de l’unification législative.

Besogne délicate : le monde chrétien, en effet, est partagé entre des législations, des coutumes fort différentes dont les deux principales sont le droit romain et le droit germanique. — Le droit romain règne dans une grande partie de l’Italie péninsulaire et dans la France méridionale, où le Bréviaire d’Alaric a conservé le Code théodosien et quelques fragments des jurisconsultes classiques, où la pratique surtout a maintenu les anciens usages. Le mariage romain, dont nous aurons bientôt à exposer plus longuement la théorie, se réalise par le simple accord des volontés des époux, sans aucune solennité légale. Sur l’histoire de ce mariage en Occident jusqu’au xe siècle, cf. Chénon, Histoire générale du droit français, t. i, p. 62-67 ; Ch. Lefebvre, Introduction générale à l’histoire du droit matrimonial français, Paris, 1900 ; G. Salvioli, Storia del diritto italiano, 8e édit., Turin, 1921 ; A. Solmi, Storia del diritto italiano, 3e édit., Milan, 1922 ; F. Brandileone, op. cit. — Dans les pays occupés par les peuples germaniques, une autre conception du mariage s’était imposée, dont les historiens d’aujourd’hui discutent certains traits. D’après l’opinion classique, le mariage germanique se réaliserait par la transmission du mundium : celui qui a puissance sur la femme vend son mundium au mari — primitivement, c’est la femme même que le mari achète — par un contrat (desponsatio, Verlobung), généralement suivi d’une dotation et, toujours, de la livraison (traditio, Trauung) : tous ces actes s’accomplissent avec un cérémonial archaïque et compliqué, variable selon les lieux et auquel un orateur prête son concours. Cette doctrine a été exposée dans de nombreux ouvrages et récemment par Fr. Rodeck, Beiträge zur Geschichte des Eherechts deutscher Fürsten bis zur Durchführung des Tridentinums, dans Münstersche Beiträge zur Geschichtsforschung, N. F., t. xxvi, p. 20 sq. L’importance des actes successifs est diver-