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MARIAGE. DOCTRINE CLASSIQUE, BILAN FINAL


avec chacun « les autres sacrements. Par exemple, saint Bonaventure fait observer : « de même que le baptême, le mariage présente uliquid permanent (le lien) aliquid transiens, (la conjunetio) ». El ailleurs il note

l’analogie de la forme, dans le mariage et dans la pénitence. La fausse théorie relative à la grâce est suggérée aux canonistes par la notion de la simonie dans l’ordre, et pour ruiner la notion du duplex sacramentum, les classiques relèvent que, dans l’eucharistie, la dualité des espèces ne double pas le sacrement. Une histoire de la théologie du mariage devrait, assurément, faire une large place à l’étude de ces rapprochements et des rapports entre le développement de la doctrine du mariage et des autres sacrements.

Le mariage est un sacrement aussi parfait que les six autres sacrements. Si, dans les énumérations, il tient souvent la dernière place, ce n’est point pour motif d’infériorité. Les canonistes, surtout, se préoccupent de son rang. Gandulfus l’appelle : maximum sacramentum et Rufin : præcipuum, édit. Singer, p. 56 et 481. Hostiensis énumère, en termes singuliers, ses marques de prééminence. In JV 110 Décret, libr. comment., in c. 7 (Lilterse) De frigidis. L’auteur de la Summa Monacensis, in c. 6, dist. XCV, est, sans doute, plus raisonnable, en reconnaissant que chacun des sacrements, par quelque côté, l’emporte sur les autres, encore que les exemples qu’il en donne soient contestables. En réalité, les termes de faveur sont une amplification du magnum sacramentum et une affirmation de la haute dignité du mariage. Il est juste de noter que les canonistes, qui avaient tant à se faire pardonner, et les prédicateurs dont l’éloquence exagère certains éloges ne sont point seuls dans ce concert en l’honneur des noces : presque tous les théologiens scolastiques s’accordent avec eux. Dans un passage inédit de la Summa de creaturis, ms. de Venise, fol. 213, Albert le Grand exprime une opinion qui semble celle de beaucoup de ses contemporains : Si comparentur sacramenta ad gratiam quam efficiunt in suscipientibus matrimonium mitioris gratis : erit efjectivum quam cetera. Si autem comparentur ad quod efjiciunt ettrinsecus secundum utilitatem communem tune matrimonium majoris boni erit efjectivum, et in ista ratione ponuntur hsec bona ; est enim communis utilitas Ecclesiee in proie sumpta, similiter communis utilitas est in bonum sacramenti quia omnes instruuntur per signum illud quam indissolubilis erit conjunetio ftdelis animée cum Deo, similiter per bonum fidei mutua caritas conseruatur. Il y a des sources de sanctification plus riches que le mariage, mais il n’y a point de sacrement plus utile à la société chrétienne, puisqu’il lui assure la durée. La signification du mariage est, aussi, de l’ordre le plus élevé, sic matrimonium dicitur majus, quia significat unitatem naturarum in Christo, fait observer saint Bonaventure, In lV nm Sent., dist. VII, dub. 3.

Que, sur certains points, le mariage soit moins digne de la prééminence, les théologiens le remarquent ordinairement. Mais c’est un sacrement qui n’admet point un rang médiocre. Le plus grand par son symbolisme et son utilité naturelle, il est le dernier, si l’on considère sa correspondance à la doctrine générale des sacrements : Inler cetera minus habet de proprielate sacramentorum novæ legis et minus de per/ectione, cum nunc lemporis sit indulgentia. Saint Bonaventure, loc. cit., dist. XXVI, dub. 1.

c) La consécration de la doctrine classique. Le Décret aux Arméniens. — L’accord qui s’était réalisé entre les docteurs reçut, au milieu du xv siècle, une consécration officielle : La grande controverse entre l’Orient et l’Occident donna au concile de Florence l’occasion de dé finir la conception orthodoxe du mariage, dans le Décret aux Arméniens. Voir ci-dessus, t. vi, col. 46.

Les dernières lignes du Décret visent le mariage : Septtmum est sacramentum matrimonii, quod est signum conjuncttonis Christ i et Ecclesiee, secundum Apostolum dicentem : « Sacramentum hoc magnum est : ego autem dlCO in Christo et in Ecclesia. » Causa efficient matrimonii regulariter est mutuus consensus per verba de. pru-senti expressus. Assignatur autem triplex bonum matrimonii… Denzinger, n. 702.

Tous ces termes sont empruntés à saint Thomas. Le mot regulariler a été ajouté, pour faire entendre, semble-t-il, que le consentement peut être exprimé par un signe quelconque sans qu’une formule spéciale soit exigible. Cf..1. de Guibert, Le Décret du Concile de Florence pour les Arméniens, sa valeur dogmatique, dans Bulletin de littérature ecclésiastique, juilletoctobre 1919, p. 208.

Dans la théorie générale des sacrements, le Décret rappelle que tous les sacrements contiennent la grâce et la confèrent à ceux qui les reçoivent dignement. Et il adopte l’hylémorphisme. « Tous les sacrements se composent de trois éléments : les choses qui en sont la matière, les paroles qui fournissent la forme et la personne du ministre qui confère le sacrement avec l’intention de faire ce que fait l’Église : si l’un de ces éléments fait défaut, il n’y a point de sacrement. »

2. Périls qui menacent la doctrine classique.

La

doctrine classique, cependant, n’était point si fortement établie qu’elle pût longtemps se maintenir sans éclaircissements ni retouches. Elle subissait des attaques intermittentes des hérésies, des États, des publicistes ; sa force de résistance était amoindrie par des infirmités séculaires. Menaces venues du dehors, faiblesses internes : il nous faut relever et décrire sommairement ces annonces et ces causes lointaines de la grande crise du xie siècle.

a) Menaces extérieures. — a. — Les hérésies de la fin du Moyen Age sont, presque toujours, résolument hostiles au mariage. Leur morale et parfois leur métaphysique (dualisme manichéen) ravalent les rapports conjugaux. Le catharisme, sous des formes diverses, n’a point cessé de travailler et d’inquiéter la société chrétienne au Moyen Age. Et d’innombrables autres sectes secondent sa critique du mariage. Sur ce premier point, la résistance de l’Église a été continue. Elle n’a cessé de défendre l’honneur du mariage et son caractère sacramentel. Encore en 1459, par exemple, le pape Pie II condamne les hérétiques bretons. Duplessis d’Argentré, op. cit., t. i b, p. 253.

b. — En condamnant l’hérésie, l’Église défend la société civile tout entière. Et cependant, certains chefs de cette société civile figurent aussi parmi ses adversaires déclarés ou secrets. C’est un fait de grande conséquence pour la pratique et pour la théo logie même du mariage que la renaissance de l’État qui, en toute matière et spécialement en ce qui concerne le mariage, reconstitue d’anciennes attributions législatives et judiciaires. Les communes italiennes

— du moins celles qui eurent un gouvernement hostile à l’Église — portèrent les premiers coups aux juridictions ecclésiastiques comme elles avaient porté les premiers coups aux immunités cléricales. Il arrive que les statuts contiennent des dispositions sur les empêchements réservant aux tribunaux civils la connaissance des causes matrimoniales, voire de celles qui regardent le lien. Les Statuts de Pistoie (xiie siècle) s’inspirant du droit lombard, défendent qu’aucune orpheline (de père) soit mariée avant douze ans accomplis, et si qua persona contra hoc fecerit, cassum sit et inutile et ipsa puella ad mundualdum suum revcrlatur. c. xxi, éd. Berlan, p. 27. Les exemples pourraient être multipliés. Cf. F. Brandileone, op. cit., p. 3-113 et spécialement p. 39-52 et p. 88, n. 1. En fait, les conflits entre les communes et l’Église — par exemple,