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mahi.( ; k. la période moderne

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matière et la forme, le ministre, le signe et même la grâce sans qu’une définition fût imposée. Sans doute l’accord, peu à peu, se fail sur la notion fondamentale : signe sacré, productif de grâce. Mais ce vote unanime, cet accord spontané, ou mieux, providentiel, des esprits, résultats d’une libre controverse OÙ l’autorité suprême, universellement respectée n’eut pas à intervenir, il est acquis seulement après de longs débats, et il ne porte que sur l’essentiel, Bientôt, les hésitations, les disputes deviendront périlleuses. Une définition insuffisante des rapports entre le contrat et le sacrement fera le jeu des adversaires de la puissance ecclésiastique. Et, par aille rs, les exagérations poétiques des panégyristes de l’ordre conjugal n’ouvrent-elles point souvent la voie aux contempteurs du célibat ?

b. — Le mal qui atteint le plus gravement la doctrine classique, c’est la clandestinité. On peut s’en rendre compte en étudiant ces sources précieuses et trop peu étudiées que sont les Consilia, recueils de consultations donnés par les jurisconsultes sur des cas pratiques. Voir, par exemple, André de Barbatia, Consilia, t. iv, cons. xxvi, Venise 1516, fol. 56-58 ; t. iii, cons. xl, fol. 72 sq. Consiliorum seu Responsorum Alexandri Tartagni, t. V, cons. cxlix, cl, cli, Venise. 1597, fol. 127-131. L’activité de ces deux canonistes se place dans le second tiers du xve siècle. Dans les causes matrimoniales qu’ils plaident, apparaît l’extrême difficulté de la preuve du mariage, soit que les témoins fassent défaut ou qu’ils soient récusables ou, enfin, que leurs dépositions se contredisent de manière flagrante et souvent burlesque.

Peut-être les inconvénients de la clandestinité étaient-ils moins sensibles qu’en bien d’autres lieux à Rome, à cause de l’importance qu’y avaient gardée les solennités. Cf. Li Nuptiali de M. A. Altieri, publiés par E. Narducci Rome, 1873. Mais, dans toute la chrétienté, la protestation est incessante contre la violation des règles canoniques sur la publicité du mariage. Les conciles provinciaux multiplient les sanctions. Cf. L. Desforges, op. cit., p. 111, n. 2. Nous avons vu de quelles peines sont frappés les époux. Il faut ajouter que les censures n'épargnent aucun de ceux qui assistent à la cérémonie : ainsi le concile de Saumur, de 1253, c. 27, les Statuts inédits du concile de Montluçon en 1266 infligent au prêtre coupable une suspense ab officio, ipso facto, pour trois ans. Les assistants sont excommuniés. L. de Lagger, Statuts inédits d’un concile de la province de Bourges au xi ile siècle, dans Revue historique de droit, 1926, p. 69 sq. La lutte contre la clandestinité au Moyen Age forme l’un des chapitres les plus curieux (et qu’il conviendrait d'étudier) de l’histoire du mariage. Cette lutte se serait prolongée sans effet pendant des siècles si la révolution n’avait ébranlé la discipline de l'Église : la clandestinité ne pouvait être exclue que par une réforme profonde du mariage, car elle était dans la logique d’une doctrine qui spiritualise au plus haut point l’union conjugale. Conjunclio animarum, rencontre, accord des âmes : le for interne s’accommode de cette définition mieux que le for externe et, si elle laisse aux prétentions de l'État peu de prise, elle embarrasse souvent, aussi, les officialités, qui ne peuvent point lire dans les consciences.

Tel est le bilan de la doctrine classique, telles sont les conclusions auxquelles aboutissent des siècles de réflexion et d'épreuves. Elles vont être soumises à la critique de l’esprit nouveau qui s’annonce à la fin du xve siècle, et régnera bientôt jusque dans les sciences religieuses. Que deviendront dans le monde moderne le dogme du mariage et les explications que les scolastiques en ont proposé?

il. La période moderne (nu xvie siècle a nos

jouhs) — Depuis la (in du xiir siècle, la théologie du mariage était en quelque sorte fixée. Au cours de la période moderne, elle devait se modifier et s’enrichir, sous la pression de nécessités pratiques

L’histoire de ces transformations peut être divisée en deux périodes : la première, de critique, de réforme et de controverses, où la doctrine se renouvela : la seconde (col. 2272), de définition, de coordination en vue de faire face aux entreprises de l'État sécularisateur et des théologiens hostiles à la conception chrétienne du mariage. Le pontificat de Pie V] marque la séparation de ces deux périodes.

I. LE RENOUVELLEMENT DES DOCTRIbBS, DV XVI e

au milieu du xviiie siècle. — Les temps modernes s’ouvrent par le procès des conceptions classiques : la Réforme porta les premiers coups, les plus directs : l’humanisme créait un état d’esprit peu favorable aux démonstrations scolastiques ; enfin les inconvénients de la clandestinité inspirèrent de tous côtés des protestations. Ces critiques ne furent pas sans fruit. Pour y répondre, le concile de Trente promulgua des définitions, opéra des réformes. Les réformes imposèrent à leur tour, une reconstruction partielle des doctrines, et les débats dont elles furent l’occasion provoquèrent d’une part la revision de toutes les parties de la synthèse scolastique, puis, des divergences entre théologiens, des analyses insidieuses, œuvres des légistes toujours habiles à mettre le droit canonique au service du prince. Nous examinerons successivement ces divers aspects de l’histoire du mariage : les critiques de la conception traditionnelle au xvie siècle, l'œuvre du concile de Trente, ses conséquences pratiques et doctrinales, les premières phases de la lutte engagée par les juristes régaliens et les philosophes contre l'Église.

1° La critique de la théorie du mariage au XVI » siècle. — 1. Les premiers humanistes. — Les premiers humanistes et les préréformateurs adoptèrent vis-à-vis du mariage une attitude assez indépendante. Cf. W. Kawerau, Die Reformation und die Ehe, Halle, 1892 : F. Falk, op. cit, spécialement le c. ix ; A. Bôhmer, Die deutschen Humanislen und das weibliche Gcschlecht, dans Zeitschr. fur Kulturgeschichte, 1896, t. iv, p. 94. 197. « On peut dire, écrit M. Abel Lefranc, que*de 1450 ou environ aux années qui virent le commencement de la Réforme le mariage apparaît comme une institution fortement battue en brèche. Les attaques ou satires dirigées contre lui se révèlent comme infiniment plus nombreuses que les panégyriques. Il fournit un thème facile et joyeux à quantité de complaintes quasi-populaires. » Revue des études rabelaisiennes, 1904, p. 6.

Toute une école dont les premiers essais remontent au début du xv siècle prend pour sujet le mariage, qu’elle traite sans impiété, mais avec un certain détachement profane. On sait quelle influence a exercée le De re uxoria de Francesco Barbaro (1415), en qui s’unissent, comme le remarque Pa^tor, l’esprit humaniste et l’esprit de l'Église. Cette influence est dès le xve siècle sensible en Italie et peut-être jusqu’en Allemagne, où paraissait, en 1472, l’ouvrage, important pour l’histoire de la prose allemande, d’Albrecht von Eyb, Ob einem manne seg : u nemen ein eeliches weib oder nit (Faut-il se marier ?^, éd. Hermann, dans Schriften : ur germanischen Philologie, fasc. 4. 1890. La première nouveauté digne de remarque, à la fin du Moyen Age, c’est donc que le traité du mariage cesse d’appartenir aux théologiens : des ouvrages pratiques ou poétiques, à la manière des Anciens, renouvellent le thème des noces heureuses. II y eut, dans ce premier âge de l’humanisme, comme un avant propos de la Querelle das femmes, que les noms de Christ