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MARIAGE, CONTROVERSES QUI SUBSISTENT


se demandaient, d’abord, canonistes et théologiens. Une objection se présentait immédiatement à l’esprit : naguère, le consentement nu des époux était seul requis ; le concile de Trente exige que le parochus et les témoins entendent les paroles, leur présence au contrat est imposée pro forma, c’est-à-dire quelle ne peut être ficlu et œquipullens : il faut qu’ils puissent constater l’identité des parties, leur volonté claire de contracter mariage. Ainsi s’exprime Barthélémy de Ledesma, dub. xviii, De matrim. Et il ajoute que la même raison le décide à nier la validité du mariage per epistolam, plus résolument encore, car on conçoit la formation d’un pacte par mandataire, tandis qu’une lettre n’est qu’un témoignage passif. La plupart des canonistes et des théologiens réfutèrent ces objections, en montrant que le consentement par procureur n’a jamais été regardé comme clandestin, que le mandant est parfaitement représenté par son procurator, que la publicité est bien assurée par la comparution du procureur et de la partie présente devant le curé et les témoins, qu’enfin, l'Église n’a pas fait difficulté pour admettre, comme précédemment, le mariage par procureur. Sanchez, t. II, disp. XI, n. 20 sq. Les mêmes raisons autorisent le maintien du mariage par lettre, et Henriquez, que suit Sanchez, ibid., disp. XII, n. 3, précise que l’absent doit écrire qu’il fait tradition de son corps et accepte la tradition du conjoint. La question de la validité du mariage entre absents fut peu débattue. Les théologiens la mentionnent à peine. Pour Becanus, c. xlv, q. iv, p. 656, et pour Billuart, diss. I, De matrim., art. 4, p. 227, elle ne paraît même point s'être posée. En 1727 et 1736, la Congrégation du Concile s'était prononcée pour la validité du mariage par procureur. Schulte-Richter, op. cit., p. 238, n. 69 et 70. En revanche, on discuta vivement le caractère de ce mariage entre absents : est-il un sacrement ? Nombreux sont ceux qui, se plaçant à un point de vue différent de celui de Cano, le nient, au xvp siècle : Ovando, sur la dist. XXVIII des Sentences, Barth. de Ledesma dans sa question xlii, d’autres encore, qui, trompés par des analogies apparentes, exigent pour la collation de tous les sacrements la présence réelle des parties. Un absent peut-il consacrer l’hostie ou recevoir le pardon de ses péchés ? Le consentement, ajoute-t-on, est la cause physique de la grâce ; or, il n’existe que moralement si les parties ne se rencontrent point. Enfin, ceux qui contractent mariage par procureur doivent, quand ils seront réunis, se présenter devant un prêtre : or le sacrement n’est point réitérable. La majorité des théologiens et des canonistes se prononce contre cette opinion et notamment Palacios, Pierre de Ledesma, Henriquez, Sanchez, Billuart. Tout contrat valide entre fidèles, observent-ils, est un sacrement, a été élevé par JésusChrist à la dignité de sacrement : il suffit donc que l'Église autorise, réglemente et, à l’occasion, juge un tel contrat pour que l’on soit fondé à y reconnaître un sacrement. Sanchez, t. II, disp. XI, n. 27. Billuart, diss. I, a. 4. Toutes les objections précédemment énoncées tombent dès que l’on considère la nature particulière du mariage qui, à la différence des autres sacrements, consiste en un contrat, œuvre des parties. La présence morale de celles-ci est suffisante ; la prononciation de telle ou telle formule solennelle n’a jamais été requise. El, quant à la confirmation du consentement, elle n’a point pour effet de réitérer le sacrement, mais de compléter les solennités omises et de ratifier publiquement la déclaration du procureur. Certains théologiens, comme Estius, In /V" m Sent., disp. XXIX, dont les Conférences de Paris, t. i, p. 40, rappellent encore l’opinion, donnent pour point d’origine au sacrement cette démarche des parties. Mais cette dernière tentative pour sauver la doctrine hostile

au mariage par procureur, si elle eut des échos, ne rallia que peu de suffrages.

Bien des questions se posent au sujet de ce mariage par procureur. Les condil ions de fond et de forme de la procuration remplissent toute la première partie de la disp. 1 de Sanchez : c’est l’aspect juridique, que nous nous bornons à signaler. Les théologiens, ainsi Pierre de Ledesma et Henriquez, précisent que l’absent étanl vraiment représenté, il devra se tenir en état de grâce dans la période du contrat, tandis que le procureur s’il se trouve en état de péché ne commettra point une faute mortelle, puisqu’il ne reçoit point le sacrement.

La volonté des époux, qu’elle soit exprimée directement ou par procureur, réalise donc à la fois le contrat et le sacrement. Peut-elle réaliser le contrat seul, à l’exclusion du sacrement ? Deux opinions très nettes ont eu leurs partisans. L’une, que nous connaissons déjà, constate que le sacrement n’est point séparable du contrat valide, puisqu’il est ce contrat élevé, sanctifié, pourvu de grâce par Jésus-Christ. « L’intention de ne point réaliser le sacrement répugne à l’intention requise pour contracter un mariage valide… et donc aboutit au néant, de même que l’intention de ne point réaliser le contrat exclut la possibilité de réaliser le sacrement. » Cette inséparabilité du contrat et du sacrement est de droit divin. Sanchez, t. II, disp. X, n. 6. Mais d’autres auteurs, considérant non plus l’institution divine du mariage, mais la théorie générale de l’intention requise pour la validité des sacrements, professent que les époux peuvent contracter sans recevoir le sacrement. Vasquez, Ponce, Diana, au xviie siècle, Billuart au xviiie, bien d’autres encore soutiennent cette thèse. « Celui qui passerait le contrat de mariage sans intention de recevoir le sacrement, écrit Billuart, pourrait faire un contrat vrai et valide et ne ferait point un sacrement, car l’intention est requise pour la validité du sacrement. Bien que Dieu ait institué les sacrements sans tenir compte de la volonté des hommes, il n’a pas voulu leur en imposer la collation sans le concours de leur volonté. » Op. cit., p. 234.

La solution d’une dernière difficulté dépendait en grande partie de la solution donnée au problème du contrat-sacrement : le mariage des infidèles convertis devient-il un sacrement ? Ceux qui professent l’inséparabilité du contrat et du sacrement ne sont pas embarrassés pour répondre : le défaut de baptême est le seul obstacle à la sacramentalité d’un contrat valide ; la réception du baptême par les deux conjoints élève leur mariage à la dignité de sacrement, symbolise immédiatement l’union du Christ et de l'Église. Pour Sanchez, t. II, disp. IX, n. 5, c’est l’opinion la plus probable. Et il interprète en ce sens saint Thomas, In /V™ Sent., dist. XXXIX, q. un., a. 2, ad l™ 1, où il est dit que le mariage des infidèles est aliquo modo sacramentum habitualiter non actualiter. Telle n’est point l’interprétation unanime. Billuart, après plusieurs autres, traduit ainsi : « Au mariage des infidèles, s’il est un contrat valide, il ne manque pour être un sacrement, que le baptême préalable des conjoints. Mais le baptême postérieur ne peut rien ajouter à l’effet du contrat qui a été passé jadis, in actione transeunte, par l’acte instantané du consentement, et qui ne peut être renouvelé, car il a été fait pour toujours. » D’autres auteurs, comme Henriquez, pensent qu’un nouveau consentement des baptisés est nécessaire et suffisant pour que la forme et la matière requise soient réunies et le sacrement réalisé.

Le centre de toutes les controverses, c’est, on le voit, la notion des rapports entre contrat et sacrement. Nous allons maintenant apercevoir dans l’offensive des régaliens contre les juridictions ecclé-