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    1. MARIAGE##


MARIAGE. L’OPPOSITION DES RÉGALIENS

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Qu’une occasion se présentât de l’exploiter, il n'était pas douteux qu’on la saisirait volontiers. Or le mariage entre Gaston d’Orléans et la princesse de Lor raine vint à point pour cette entreprise. Gaston d’Or léans, frère de Louis XIII, avait épousé la lille du duc de Lorraine ennemi du roi de France ; celui-ci n’avait point donné son consentement au mariage et, pour détruire une union qui risquait de transporter sa couronne dans la famille de Lorraine, il Invoqua Ce refus, aux fins d’annulation du mariage, devant le Parlement de Paris qui lui lit droit par arrêt du â septembre 1634. E. Glasson, Le mariage de Gaston d’Orléans avec Marguerite de Lorraine, Paris, 189(1 : Basdevant, op. cit., p. 100-112. Cette affaire fut l’occasion de débats fort importants, au cours desquels se forma la théorie gallicane du mariage. Gaston d’Orléans déniait la compétence de l’autorité séculière. Et le roi consulta l’Assemblée du clergé, qui, après avis favorable des théologiens les plus réputés, l’approuva ; le rapport de l'évêque de Montpellier, s’appuya sur la distinction du contrat et du sacrement. Procès-verbaux des assemblées du clergé, t. ii, pièces justificatives, p. 157-103 ; Mémoires du cler<jé. t. v, p. 093-713.

Le pape Urbain VIII dénia au pouvoir civil le droit de toucher au sacrement et Richelieu fit de grands efforts pour l’apaiser : « Il y a cette différence entre le tribunal ecclésiastique et les cours de parlement, que le premier, dissolvant un mariage le déclare et prononce nul, ce qui va au sacrement, et les cours disent seulement non valablement contracté, ce qui ne touche que le contrat » : telle aurait été l’explication fournie au pape par les ministres du roi, si l’on s’en rapporte aux Mémoires de Richelieu, t. XXVI, collection Petitot, t. xxviii, p. 74.

La raison d'État qui inspira le roi ne fut point sans influence sur les polémistes, qui n’osèrent point soutenir la cause de Gaston d’Orléans. En revanche, nombreux sont ceux qui vinrent au secours du roi. Dans un langage précis, Hennequin, professeur en Sorbonne, exposa la distinction du contrat et du sacrement : Le Christ en instituant le sacrement de mariage n’a rien changé au contrat civil, qu’il a seulement imposé comme fondement nécessaire, trunco inseruit, principali annexait, materiali afjixit naturam et dignitatem sacramenti, de telle sorte que le contrat est demeuré ce qu’il était avant son élévation à la dignité de sacrement. L’autorité de Hennequin, dont Pierre Pithou dit qu’il tenait li.eu de toute la Sorbonne, assura le succès de son opinion qui se répandit immédiatement dans les ouvrages et fournit aux bacheliers une thèse brillante et provisoirement originale. Dès 1033, Jean Launoy développait, dans sa thèse de mineure ordinaire, cette proposition : Qui absolutam habent condendi leges potestatem possunt, speclata natura rei, inducere impedimenta malrimonii. M. Covillard, Le mariage considéré comme contrat civil dans l’histoire du droit français, Paris, 1899, p. 38 sq.

A partir de ce moment, les opinions développées par Dominis, puis par Hennequin et Launoy entrent dans le commun trésor des gallicans. Il serait utile de dresser une bibliographie complète des ouvrages où elles furent insérées, amplifiées, au milieu du xvii siècle, et dont les plus importants prirent pour prétexte le De cavendo schismate d’Optatus Gallus (Charles Hersent), Paris, 1040. Cf. Hersent, t. vi, col. 2312 sq., et Roskovâny, op. cit., t. ii, 1871, p. 475 sq.

Le débat avait pris un caractère pratique et très précis : il s’agissait de justifier les interventions du roi dans la réglementation des mariages. Un livre remarquable de Jean Launoy vint en quelque sorte couronner ce grand mouvement littéraire. Son titre est sans mystère : Regia in matrimonium potestas vel

J racial us de jure siccularium principum christianorum in sanciendi » impedimenits matrimonium dirimentibus. Paris, 1074, dans les (Jùivres complètes de Launoy. Cologne, 1731, t. i /), p. 025-882. L’ouvrage très savant et fort ennuyeux de Launoy est divisé en trois parties : un traité du droit des princes chrétiens d'établir et de sanctionner les empêchements dirimants au mariage, les preuves de l’exercice de ce droit par nos rois et par les princes de toutes les nations. Les opinions de Launoy sont encore exposées dans ses réponses à ses contradicteurs. Opéra omnia, lo> :. cit.. p. 883-1000 et 1005-1019. C’est principalement la première partie du Tractatus qui nous intéresse ici. Nous n’en connaissons, non plus que de l’ouvrage de Dominis, aucune analyse méthodique ; nous la résumoi^ d’après l'édition de 1074.

L’auteur allègue d’abord, p. 7-48, l’opinion d’environ 70 théologiens du Moyen Age et des temps modernes, groupés par universités, parmi lesquels 21 membres de la Compagnie de Jésus, 15 maîtres parisiens, 12 Italiens, 10 Espagnols. Ce recueil, malgré sa richesse, est loin de réunir tous les textes importants de la doctrine sur les droits de l'État et ceux qu’il allègue sont interprétés souvent de façon arbitraire. Les raisons des théologiens sont résumées avec bien des répétitions, sous sept chefs, p. 49-53. Elles peuvent être ainsi réduites : le mariage appartient à l’ordre naturel et à l’ordre civil autant qu'à l’ordre surnaturel. Il est un contrat comme la vente. En matière de contrats, le prince peut prendre toutes dispositions que requiert le bien public. Quatre raisons complémentaires sont tirées par Launoy des divers droits qui appartiennent aux princes en matière matrimoniale. Le témoignage des papes est invoqué, p. 07-77, les canons du concile de Trente sont discutés en plusieurs endroits : le c. 4, sur les empêchements dirimants aurait pu embarrasser Launoy, s’il ne l’avait rangé au nombre des prescriptions disciplinaires. Et, comme le concile n’a point été reçu en France, ses prescriptions disciplinaires ne s’y appliquent point. De plus, le mot Ecclesia, dans ce canon 4 signifie non point l’ordre sacerdotal, mais les souverains et princes temporels, membres de l'Église universelle. Vingt et un théologiens sont invoqués pour établir que jamais le droit des princes n’a été supprimé ou restreint, p. 91-100. Les arguments opposés à la thèse sont passés en revue : ceux tirés du Corpus juris canonici, ceux de Bellarmin, p. 143-150, de Canisius, p. 108-183. L’inconséquence des théologiens qui refusent aux princes modernes le droit de légiférer sur le mariage, tout en reconnaissant qu’ils le réglementaient au temps de l’Ancienne Loi, où il était déjà un sacrement, est soulignée avec force, p. 183-195. Par onze raisons, Launoy montre qu’il ne convient pas que l'Église retire aux princes leur pouvoir d'établir des empêchements dirimants, p. 202-208.

La thèse de Launoy reçut, dès l’année 1077, une consécration officielle. J. L’Huillier ayant soutenu en Sorbonne qu’on ne peut refuser à l'Église le pouvoir de dispenser des empêchements dirimants, pour reconnaître ce pouvoir aux princes, des explications furent demandées au syndic de la Faculté, Chamillard, qui avait donné son visa à cette thèse et aussi à l’auteur. L’avocat général Talon, dans ses conclusions, déclara la proposition de L’Huillier contraire aux principes de la séparation des deux puissances, que la tolérer, c’est reconnaître à l'Église le pouvoir de faire des lois civiles, alors que le pouvoir qu’elle exerce, en fait, dépend d’une concession, toujours révocable, de l’autorité royale, que les décisions du concile de Trente sur le mariage ne peuvent être matière de foi et n’ont d’ailleurs point été reçues en France.

Entre la théorie radicale de Launov et la doctrine