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M HOMÉTISME, CHIISME 01 TRÉ

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doctrine philosophique, abstraite, ésotérique. Comment se faisait l’initiation ? C’est ce que nous verrons en étudiant l’isina’ilisnie une fois constitué.

Les véritables origines en sont obscures. Il semble <[iie les premiers bàlinicns aient été les partisans d’Aboû Mouslim, ce Persan, qui avait créé la daula 'abbâsside ot qui fut mis à mort par al Mansoûr qui lui devait tout, mais redoutait son esprit d’indépendance et peut-être ses tentatives pour se rapprocher des 'alides. Lui aussi, d’ailleurs, eut des partisans exaltés qui le considérèrent comme malidî. Les rizâmites voyaient en lui le successeur légitime d’as Salïàh. donc ce second personnage annoncé dans la tradition dont nous avons déjà parlé sous le titre d’al Moundhir. Lui-même, en elîet, prétendait descendre de Abbàs. Suivant la formule ordinaire, il n’avait pas été tué, il vivait toujours, il reviendrait pour remplir la terre de justice. Ces sectaires portaient aussi le nom de mouslimites, et de khourramites. Ce dernier nom a été également donné aux isma’iliens, ce qui peut faire penser que ceux-ci leur avaient emprunté tout ou partie de leurs doctrines.

Dans l’entourage de l’imàm Dja’far, c’est un nommé Aboû-1 Khaltâb qui paraît avoir inauguré le bâtinisme. Ses partisans considéraient le dja’far comme leur livre personnel ; ils adoraient en Dja’far une incarnation de la divinité, mais, après sa mort, ils déclarèrent que l’imamat était passé à Aboû-1 Khattâb. Les nawousites, au contraire, déclarèrent qu’il n'était pas mort et qu’il reviendrait, toujours suivant la même formule. D’autres, au contraire, conféraient l’imamat à son fils Moûsa ; d’autres enfin, qui s'étaient attachés à son fils Isma’il, proclamèrent imâm Mou’iammad, fils d’Isma’il, et c’est de là que leur vint le nom d’isma’iliens. Isma’il avait été proclamé par son père comme héritier de l’imamat, mais il mourut avant lui ; d’autres disent qu’il commit une faute qui entraîna sa déchéance ; de toutes les façons à la mort de Dja’far, le schisme se produisit entre moùsawites, donnant à Moûsa et à sa descendance la qualité d’imâm, et isma’ilites ne la reconnaissant qu'à Isma’il ou plus exactement à Mouhammad qui, d’ailleurs, devait être le septième et dernier imâm. La valeur mystique du nombre sept était en elîet un des points principaux de la doctrine.

L’imamat 'alide se divise donc à ce moment en deux branches : l’isma’ilisme qui représentera pour nous la cinquième grande secte mahdiste et l’imâmisme duodéciman qui s’arrêtera au douzième imâm, comme l’autre s’est arrêté au septième.

L’isma’ilisme comporte deux éléments qui se sont étroitement associés plus tard, mais qu’il faut soigneusement distinguer. D’une part l'élément purement mahdiste, qui reste dans la tradition musulmane, d’autre part le bàtinisme qui est devenu une sorte de conglomérat de toute espèce de conceptions religieuses, magiques et philosophiques, quelque chose d’assez semblable à la Kabbale juive, qui en dérive probablement par certains côtés. Ce second élément est devenu la négation même de l’islam, et le chiïsme, ainsi altéré, a été vraiment une hétérodoxie.

Le mahdisme des isma’iliens ressemble braucoup à celui des 'abbâssides par son organisation secrète, mais il semble l’avoir renforcée par un système d’initiation fort curieux, sur lequel les auteurs arabes nous ont donné de nombreux détails que nous résumerons ici.

Nous parlerons d’abord d’un association spirituelle qui ne paraît pas avoir eu d’aspirations politiques, mais qui était certainement affiliée à l’organisation isma’ilite. C’est la Confrérie de la Pureté, Ikhwân </s safâ, dont le sens véritable est : les « Amis fidèles ». Nous en connaissons les écrits d’après une rédaction

très postérieure, mais l’esprit de la philosophie grecque qui les anime et divers autres indices paraissent leur assigner une origine plus lointaine, probablement dans le courant du iie siècle de l’hégire, époque où les livres grecs furent connus des Arabes et leur inspirèrent un vif enthousiasme. On les a définis comme des musulmans, convaincus qu’il fallait allier la philosophie et la religion pour obtenir la vérité parfaite. Leur science était carhée au vulgaire et réservée aux seuls dignes. Ils avaient, disent-ils, des livres accessibles a tous, traitant de tous sujets, mais aussi un autre livre qui leur appartenait en propre, intelligible à eux seuls, contenant la science des essences des âmes, leurs influences sur tous les corps : sphères célestes, astres, éléments, minéraux, végétaux, animaux, hommes de toute espèce, prophètes, savants, etc. Par ces lires accessibles à tous, il faut probablement entendre les cinquante traités qu’ils nous ont laissés et par leur livre spécial, le cinquante et unième, la djâmi’a, restée secrète et dont une partie n’a été retrouvée que dans un manuscrit de la célèbre secte isma’ilicnne, connue en Europe sous le nom d’Assassins. Cette circonstance prouve bien leur parenté avec la secte. Quel rôle ont-ils joué dans la propagation des doctrines ésotériques ? Ils se présentent à nous comme une vaste association de secours mutuel et leurs traités font grand étalage de piété. N’y a-t-il pas là le noyau de ces sociétés secrètes, qui cachent, sous des apparences humanitaires et plus ou moins religieuses, de tout autres visées, soit qu’elles aient été constituées ainsi dès l’origine, soit que sincères au début, elles aient été détournées de leur but primitif par des chefs audacieux pour servir d’instruments à leurs ambitions politiques. Peut-être est-ce le cas des < Amis fidèles » dont l'âme paraît assez ingénue si nous nous en rapportons à leurs seuls écrits. Cette innocente association aura été transformée par d’autres en un formidable agent de révolution et même de dissolution sociale. N’est-il pas étrange que d’elle se soient inspirés les impitoyables Assassins, qui se proposaient certainement bien autre chose que l’union de la religion de Mahomet à la philosophie d’Aristote pour obtenir la pure vérité.

L’isma’ilisme présente donc, dans ses débuts, une organisation probablement très voisine de celle des « Amis fidèles », peut-être identique, mais il dévie étrangement. Au lieu des candides appels, il étale un cynisme révoltant ; mais peut-être le jugeons-nous trop sévèrement, n’ayant sur ses adeptes que les témoignages de leurs ennemis déclarés. Leurs doctrines, qu’ils ont voulues mystérieuses et secrètes, n’ont-elles pas été déformées dans les descriptions qui nous sont parvenues ? Les textes, qui viennent d’eux, ne nous sont connus qu'à l'état de fragments et d'époque tardive. Avant de répéter ce que nous en savons, il convient de faire ces réserves.

Le plan fondamental était de réunir tous les mécontents du régime établi par les 'abbâssides, et il y en avait certainement beaucoup. En premier lieu, tous les non-musulmans plus ou moins humiliés et foulés par l’islam devenu, avec la nouvelle dynastie, moins tolérant et moins facile : juifs, chrétiens, zoroastriens, manichéens, sabéens, etc. Puis ceux qui avaient été évincés par l’audacieuse intrusion de la famille de 'Abbâs ; les 'Alides, descendants du Prophète, d’abord ; puis les 'Alides Keïsànites, devenus plus tard les Carmathes ; enfin, les Khourramites, attachés à la mémoire d’Aboû Mouslim si cruellement victime de l’ingratitude 'abbâsside. Utilisant, d’une part, les procédés de la propagande secrète que nous avons vus inaugurés par Aboû Hâchim et les associations intellectuelles qui s'étaient formées sur tout le territoire musulman, perfectionnant l’organisation et se don-