Page:Alfred de Bougy - Le Tour du Léman.djvu/195

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Je suis allé loger sur France ; j’imagine, cher ami, qu’à ma place tu aurais fait comme moi. Ne crois pas pourtant que j’eusse poussé l’amour du pays jusqu’à passer le ruisseau, si l’hôtellerie de la rive droite m’eût paru moins bonne que celles de la rive gauche.

Il me sembla, quand j’eus franchi le Boiron, large à peu près comme la moitié du canal Saint-Martin, que je respirais un air meilleur pour mes poumons, que j’étais mieux compris que je ne l’avais été dans les lieux helvétiques déjà parcourus, que mes hôtes avaient dans les traits, les manières, le langage, ce je ne sais quoi qui indique les Français, — note bien ceci ; — enfin je fis toute sorte de remarques qui me rendirent joyeux de ma patriotique détermination.

J’augurai, sur la mine, que l’hôtesse était une bonne femme, n’écorchant point trop les passants ; sa fille me parut avoir cette naïve beauté un peu sauvage de pudeur, qui n’est guère l’apanage des demoiselles d’auberge, essentiellement égrillardes, effrontées, et qui ne rougissent que lorsqu’elles sont devant un feu trop vif. Quant à l’aubergiste, qui m’apparut à la nuit tombante, flanqué d’un énorme chien de berger, le plus grand éloge que je puisse faire de lui, c’est de te dire qu’il me rappela maître Bron, mon hôte complaisant d’Aubonne.

On se mit à table et je fus placé à côté du maître de la maison, qui a l'habitude de souper avec ses voyageurs,