Page:Alfred de Bougy - Le Tour du Léman.djvu/94

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Je me repose sur de gros troncs d’arbres équarris et je contemple avec une admiration inépuisable ce manoir colossal, au renflement supporté par des machicoulis, ce donjon rugueux, sombre, flanqué de donjons plus bas, plus minces, mais d’une structure semblable. Jamais, je le déclare, je n’avais vu fief aussi majestueux, aussi pittoresque, aussi sublime, aussi grandiose, donnant une idée plus juste de la puissance des altiers barons du moyen-âge !... — ô altitudo ! ô altitudo !

Je comprends maintenant les temps héroïques, car je vois l’arrogant Wufflens, le château double, se dresser sur sa butte d’où il domine, comme un pic, les campagnes fécondes et le lac limpide qui échancre ses rivages émaillés de suaves enchantements. Les murs du séculaire édifice sont âpres, rongés par les plantes pariétaires, crevassés, labourés de fissures, balafrés de lézardes, mais pourtant aussi fermes et solides que les pitons d’une montagne ; des martinets se logent dans les interstices des briques, quelques violiers touffus s’épanouissent au bord des toits élevés et raides : celui du donjon principal porte à son faîte un petit beffroi, ou plutôt une petite lanterne aiguë couverte de zinc, scintillant au soleil, où, selon la tradition locale, un fanal était placé la nuit soit pour guider les barques sur le Léman, qui s’avançait alors plus près du manoir, soit pour faire des signaux aux châtelains des manoirs du Cha-