Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/120

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— Et quelles peines profondes ils causent tous les jours a notre saint-père le pape ! dit Joseph.

— Ah ! interrompit le Cardinal, je te vois venir : tu veux me rappeler son entêtement à ne pas te donner le chapeau. Sois tranquille, j’en parlerai aujourd’hui au nouvel ambassadeur que nous envoyons. Le maréchal d’Estrées obtiendra en arrivant ce qui traîne depuis deux ans, que nous t’avons nommé au cardinalat ; je commence aussi à trouver que la pourpre t’irait bien, car les taches de sang ne s’y voient pas.

Et tous deux se mirent à rire, l’un comme un maître qui accable de tout son mépris le sicaire qu’il paye, l’autre comme un esclave résigné à toutes les humiliations par lesquelles on s’élève.

Le rire qu’avait excité la sanglante plaisanterie du vieux ministre durait encore lorsque la porte du cabinet s’ouvrit, et un page annonça plusieurs courriers qui arrivaient à la fois de divers points ; le père Joseph se leva, et, se plaçant debout, le dos appuyé contre le mur, comme une momie égyptienne, ne laissa plus paraître sur son visage qu’une stupide contemplation. Douze messagers entrèrent successivement, revêtus de déguisements divers : l’un semblait un soldat suisse ; un autre un vivandier ; un troisième, un maître maçon ; on les faisait entrer dans le palais par un escalier et un corridor secrets, et ils sortaient du cabinet par une porte opposée à celle qui les introduisait, sans pouvoir se rencontrer ni se communiquer rien de leurs dépêches. Chacun d’eux déposait un paquet de papiers roulés ou pliés sur la grande table, parlait un instant au Cardinal dans l’embrasure d’une croisée, et partait. Richelieu s’était levé brusquement dès l’entrée du premier messager, et, attentif à tout faire par lui-même, il les reçut tous, les écouta et referma de sa main sur eux la porte de sortie. Il fit signe au père Joseph