Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/122

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les plus secrètes de tout personnage un peu important ; rapports qu’il faisait toujours joindre à ses nouvelles par ses habiles espions. On attachait ces rapports secrets aux dépêches du Roi, qui devaient toutes passer par les mains du Cardinal, et être soigneusement repliées, pour arriver au prince épurées et telles qu’on voulait les lui faire lire. Les notes particulières furent toutes brûlées avec soin par le Père, quand le Cardinal en eut pris connaissance ; et celui-ci cependant ne paraissait point satisfait : il se promenait fort vite en long et en large dans l’appartement avec des gestes d’inquiétude, lorsque la porte s’ouvrit, et un treizième courrier entra. Ce nouveau messager avait l’air d’un enfant de quatorze ans à peine ; il tenait sous le bras un paquet cacheté de noir pour le Roi, et ne donna au Cardinal qu’un petit billet sur lequel un regard dérobé de Joseph ne put entrevoir que quatre mots. Le Duc tressaillit, le déchira en mille pièces, et, se courbant à l’oreille de l’enfant, lui parla assez longtemps sans réponse ; tout ce que Joseph entendit fut, lorsque le Cardinal le fit sortir de la salle : Fais-y bien attention, pas avant douze heures d’ici.

Pendant cet aparté du Cardinal, Joseph s’était occupé à soustraire de sa vue un nombre infini de libelles qui venaient de Flandre et d’Allemagne, et que le ministre voulait voir, quelque amers qu’ils fussent pour lui. Il affectait à cet égard une philosophie qu’il était loin d’avoir, et, pour faire illusion à ceux qui l’entouraient, il feignait quelquefois de trouver que ses ennemis n’avaient pas tout à fait tort, et de rire de leurs plaisanteries ; cependant ceux qui avaient une connaissance plus approfondie de son caractère démêlaient une rage profonde sous cette apparente modération et savaient qu’il n’était satisfait que lorsqu’il avait fait condamner par le Parlement le livre ennemi à être brûlé en place de Grève,