Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/124

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quoique le père Joseph eût voulu faire passer les troupes par un égout, se piquant d’être assez habile dans l’art des siéges. Cependant il se contint, et eut encore le temps de cacher le libelle moqueur dans la poche de sa robe brune avant que le ministre eût congédié son jeune courrier et fût revenu de la porte à la table.

— Le départ, Joseph, le départ ! dit-il. Ouvre les portes à toute cette cour qui m’assiège, et allons trouver le Roi, qui m’attend à Perpignan ; je le tiens cette fois pour toujours.

Le capucin se retira, et bientôt les pages, ouvrant les doubles portes dorées, annoncèrent successivement les plus grands seigneurs de cette époque, qui avaient obtenu du Roi la permission de le quitter pour venir saluer le ministre ; quelques-uns même, sous prétexte de maladie ou d’affaires de service, étaient partis à la dérobée pour ne pas être les derniers dans son antichambre, et le triste monarque s’était trouvé presque tout seul, comme les autres rois ne se voient d’ordinaire qu’à leur lit de mort ; mais il semblait que le trône fût sa couche funèbre aux yeux de la cour, son règne une continuelle agonie, et son ministre un successeur menaçant.

Deux pages des meilleures maisons de France se tenaient près de la porte où des huissiers annonçaient chaque personnage qui, dans le salon précédent, avait trouvé le père Joseph. Le Cardinal, toujours assis dans son grand fauteuil, restait immobile pour le commun des courtisans, faisait une inclination de tête aux plus distingués, et pour les princes seulement s’aidait de ses deux bras pour se soulever légèrement ; chaque courtisan allait le saluer profondément, et, se tenant debout devant lui près de la cheminée, attendait qu’il lui adressât la parole : ensuite, selon le signe du Cardinal, il continuait à faire le tour du salon pour sortir par la même porte