Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/130

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Le Cardinal, troublé par cette importunité, se leva en disant que la matinée s’avançait, et qu’il était temps de partir pour aller trouver le Roi.

En cet instant même, et comme les plus grands seigneurs s’approchaient pour l’aider à marcher, un homme en robe de maître des requêtes s’avança vers lui en saluant avec un sourire avantageux et confiant qui étonna tous les gens habitués au grand monde ; il semblait dire : Nous avons des affaires secrètes ensemble ; vous allez voir comme il sera bien pour moi ; je suis chez moi dans son cabinet. Sa manière lourde et gauche trahissait pourtant un être très-inférieur : c’était Laubardemont.

Richelieu fronça le sourcil en le voyant en face de lui, et lança un regard de feu à Joseph ; puis, se tournant vers ceux qui l’entouraient, il dit avec un rire amer :

— Est-ce qu’il y a quelque criminel autour de nous ?

Puis, lui tournant le dos, le Cardinal le laissa plus rouge que sa robe ; et, précédé de la foule des personnages qui devaient l’escorter en voiture ou à cheval, il descendit le grand escalier de l’archevêché.

Tout le peuple de Narbonne et ses autorités regardèrent avec stupéfaction ce départ royal.

Le Cardinal seul entra dans une ample et spacieuse litière de forme carrée, dans laquelle il devait voyager jusqu’à Perpignan, ses infirmités ne lui permettant ni d’aller en voiture, ni de faire toute cette route à cheval. Cette sorte de chambre nomade renfermait un lit, une table, et une petite chaise pour un page qui devait écrire ou lui faire la lecture. Cette machine, couverte de damas couleur de pourpre, fut portée par dix-huit hommes qui, de lieue en lieue, se relevaient ; ils étaient choisis dans ses gardes, et ne faisaient ce service d’honneur que la tête nue, quelle que fût la chaleur ou la pluie. Le duc d’Angoulême, les maréchaux de Schom-