Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/134

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breuses des chapeaux, les aiguillettes d’or, les chaînes qui suspendaient de longues épées, tout brillait, tout étincelait, moins encore que le feu des regards de cette jeunesse guerrière, que ses propos vifs, ses rires spirituels et éclatants. Au milieu de cette assemblée passaient lentement des personnages graves et de grands seigneurs suivis de leurs nombreux gentilshommes.

Le petit abbé de Gondi, qui avait la vue très-basse, se promenait parmi la foule, fronçant les sourcils, fermant à demi les yeux pour mieux voir, et relevant sa moustache, car les ecclésiastiques en portaient alors. Il regardait chacun sous le nez pour reconnaître ses amis, et s’arrêta enfin à un jeune homme d’une fort grande taille, vêtu de noir de la tête aux pieds, et dont l’épée même était d’acier bronzé fort noir. Il causait avec un capitaine des gardes, lorsque l’abbé de Gondi le tira à part :

— Monsieur de Thou, lui dit-il, j’aurai besoin de vous pour second dans une heure, à cheval, avec l’épée et le pistolet, si vous voulez me faire cet honneur…

— Monsieur, vous savez que je suis des vôtres tout à fait et à tout venant. Où nous trouverons-nous ?

— Devant le bastion espagnol, s’il vous plaît.

— Pardon si je retourne à une conversation qui m’intéressait beaucoup ; je serai exact au rendez-vous.

Et de Thou le quitta pour retourner à son capitaine. Il avait dit tout ceci avec une voix fort douce, le plus inaltérable sang-froid, et même quelque chose de distrait.

Le petit abbé lui serra la main avec une vive satisfaction, et continua sa recherche.

Il ne lui fut pas si facile de conclure le marché avec les jeunes seigneurs auxquels il s’adressa, car ils le connaissaient mieux que M. de Thou, et, du plus loin qu’ils le voyaient venir, ils cherchaient à l’éviter, ou riaient de