Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/136

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— On m’a dit cela, monsieur ; mais j’ai une affaire…

— C’est heureux pour vous, qu’il arrêtait tout court dans votre carrière.

— Une affaire d’honneur…

— Au lieu que Mazarin est pour vous…

— Mais voulez-vous, ou non, m’écouter ?

— Ah ! s’il est pour vous, vos aventures ne peuvent lui sortir de la tête, votre beau duel avec M. de Coutenan et la jolie petite épinglière ; il en a même parlé au Roi. Allons, adieu, cher abbé, nous sommes fort pressés ; adieu, adieu…

Et reprenant le bras de son ami, le jeune persifleur, sans écouter un mot de plus, marcha vite dans la galerie et se perdit dans la multitude des passants.

Le pauvre abbé restait donc fort mortifié de ne pouvoir trouver qu’un second, et regardait tristement s’écouler l’heure et la foule, lorsqu’il aperçut un jeune gentilhomme qui lui était inconnu, assis près d’une table et appuyé sur son coude d’un air mélancolique. Il portait des habits de deuil qui n’indiquaient aucun attachement particulier à une grande maison ou à un corps ; et, paraissant attendre sans impatience le moment d’entrer chez le Roi, il regardait d’un air insouciant ceux qui l’entouraient et semblait ne les pas voir et n’en connaître aucun.

Gondi, jetant les yeux sur lui, l’aborda sans hésiter.

— Ma foi, monsieur, lui dit-il, je n’ai pas l’honneur de vous connaître ; mais une partie d’escrime ne peut jamais déplaire à un homme comme il faut ; et, si vous voulez être mon second, dans un quart d’heure nous serons sur le pré. Je suis Paul de Gondi, et j’ai appelé M. de Launay, qui est au Cardinal, fort galant homme d’ailleurs.

L’inconnu, sans être étonné de cette apostrophe, lui répondit sans changer d’attitude :