Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/150

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qui ne vaut pas ta mèche ! C’est ici même que Charles-Quint a jeté et noyé dans le fossé la sentinelle endormie. Fais ton devoir, ou je l’imiterai.

Ambrosio remit son fusil sur son épaule, son bâton fourchu à son côté, et reprit sa promenade sur le rempart.

Cinq-Mars avait été fort peu ému de ce geste menaçant, et s’était contenté d’élever les rênes de son cheval et de lui approcher les éperons, sachant que d’un saut de ce léger animal il serait transporté derrière un petit mur d’une cabane qui s’élevait dans le champ où il se trouvait, et serait à l’abri du fusil espagnol avant que l’opération de la fourche et de la mèche fût terminée. Il savait d’ailleurs qu’une convention tacite des deux armées empêchait que les tirailleurs ne fissent feu sur les sentinelles, ce qui eût été regardé comme un assassinat de chaque côté. Il fallait même que le soldat qui s’était disposé ainsi à l’attaque fût dans l’ignorance des consignes pour l’avoir fait. Le jeune d’Effiat ne fit donc aucun mouvement apparent ; et lorsque le factionnaire reprit sa promenade sur le rempart, il reprit la sienne sur le gazon, et aperçut bientôt cinq cavaliers qui se dirigeaient vers lui. Les deux premiers qui arrivèrent au plus grand galop ne le saluèrent pas ; mais, s’arrêtant presque sur lui, se jetèrent à terre, et il se trouva dans les bras du conseiller de Thou, qui le serrait tendrement, tandis que le petit abbé de Gondi, riant de tout son cœur, s’écriait :

— Voici encore un Oreste qui retrouve son Pylade, et au moment d’immoler un coquin qui n’est pas de la famille du Roi des rois, je vous assure !

— Eh quoi ! c’est vous, cher Cinq-Mars ! s’écriait de Thou ; quoi ! sans que j’aie su votre arrivée au camp ! Oui, c’est bien vous ; je vous reconnais, quoique vous soyez plus pâle. Avez-vous été malade, cher ami ? Je vous