Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/160

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Et cet homme sombre et calme, s’enveloppant de nouveau dans son manteau, se mit en marche de lui-même, suivi d’Ambrosio, pour aller joindre le bataillon, poussé par les épaules et hâté par cinq ou six de ces jeunes fous.

Cependant la première troupe d’assiégeants, étonnée de son succès, l’avait suivi jusqu’au bout. Cinq-Mars, conseillé par le vieux Coislin, avait fait le tour du bastion, et ils virent tous deux avec chagrin qu’il était entièrement séparé de la ville, et que leur avantage ne pouvait se poursuivre. Ils revinrent donc sur la plate-forme, lentement et en causant, rejoindre de Thou et l’abbé de Gondi, qu’ils trouvèrent riant avec les jeunes Chevau-légers.

— Nous avions avec nous la Religion et la Justice, messieurs, nous ne pouvions pas manquer de triompher.

— Comment donc ? mais c’est qu’elles ont frappé aussi fort que nous !

Ils se turent à l’approche de Cinq-Mars, et restèrent un instant à chuchoter et à demander son nom ; puis tous l’entourèrent et lui prirent la main avec transport.

— Messieurs, vous avez raison, dit le vieux capitaine ; c’est, comme disaient nos pères, le mieux faisant de la journée. C’est un volontaire qui doit être présenté aujourd’hui au Roi par le Cardinal.

— Par le Cardinal ! nous le présenterons nous-mêmes ; ah ! qu’il ne soit pas Cardinaliste[1], il est trop brave garçon pour cela, disaient avec vivacité tous ces jeunes gens.

— Monsieur, je vous en dégoûterai bien, moi, dit Olivier d’Entraigues en s’approchant, car j’ai été son page, et je le connais parfaitement. Servez plutôt dans les Compagnies Rouges ; allez, vous aurez de bons camarades.

  1. La France et l’armée étaient divisées en Royalistes et Cardinalistes.