Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/186

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

soutenir ; Richelieu saisit cette occasion de s’avancer aussi avec un empressement simulé.

— Otez ce spectacle des yeux du roi, s’écria-t-il ; vous voyez bien que ce jeune homme se meurt.

— Point du tout, dit Louis, le soutenant lui-même, un roi de France sait voir mourir, et n’a point peur du sang qui coule pour lui. Ce jeune homme m’intéresse ; qu’on le fasse porter près de ma tente, et qu’il ait auprès de lui mes médecins ; si sa blessure n’est pas grave, il viendra avec moi à Paris, car le siége est suspendu, monsieur le Cardinal, j’en ai vu assez. D’autres affaires m’appellent au centre du royaume ; je vous laisserai ici commander en mon absence ; c’est ce que je voulais vous dire.

À ces mots, le Roi rentra brusquement dans sa tente, précédé par ses pages et ses officiers tenant des flambeaux.

Le pavillon royal était fermé, Cinq-Mars emporté par de Thou et ses gens, que le duc de Richelieu, immobile et stupéfait, regardait encore la place où cette scène s’était passée ; il semblait frappé de la foudre et incapable de voir ou d’entendre ceux qui l’observaient.

Laubardemont, encore effrayé de sa mauvaise réception de la veille, n’osait lui dire un mot, et Joseph avait peine à reconnaître en lui son ancien maître ; il sentit un moment le regret de s’être donné à lui, et crut que son étoile pâlissait ; mais, songeant qu’il était haï de tous les hommes et n’avait de ressource qu’en Richelieu, il le saisit par le bras, et, le secouant fortement, lui dit à demi-voix, mais avec rudesse :

— Allons donc, monseigneur, vous êtes une poule mouillée ; venez avec nous.

Et, comme s’il l’eût soutenu par le coude, mais en effet l’entraînant malgré lui, aidé de Laubardemont, il le fit rentrer dans sa tente comme un maître d’école fait cou-