Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/24

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tour élancée, tout rappelle la fécondité de la terre, l’ancienneté de ses monuments, et tout intéresse dans les œuvres de ses habitants industrieux. Rien ne leur a été inutile : il semble que, dans leur amour d’une aussi belle patrie, seule province de France que n’occupa jamais l’étranger, ils n’aient pas voulu perdre le moindre espace de son terrain, le plus léger grain de son sable. Vous croyez que cette vieille tour démolie n’est habitée que par les oiseaux hideux de la nuit ? Non. Au bruit de vos chevaux, la tête riante d’une jeune fille sort du lierre poudreux, blanchi sous la poussière de la grande route ; si vous gravissez un coteau hérissé de raisins, une petite fumée vous avertit tout à coup qu’une cheminée est à vos pieds ; c’est que le rocher même est habité, et des familles de vignerons respirent dans ses profonds souterrains, abritées dans la nuit par la terre nourricière qu’elles cultivent laborieusement pendant le jour. Les bons Tourangeaux sont simples comme leur vie, doux comme l’air qu’ils respirent, et forts comme le sol puissant qu’ils fertilisent. On ne voit sur leurs traits bruns ni la froide immobilité du Nord, ni la vivacité grimacière du Midi ; leur visage a, comme leur caractère, quelque chose de la candeur du vrai peuple de saint Louis ; leurs cheveux châtains sont encore longs et arrondis autour des oreilles comme les statues de pierre de nos rois ; leur langage est le plus pur français, sans lenteur, sans vitesse, sans accent ; le berceau de la langue est là, près du berceau de la monarchie.

Mais la rive gauche de la Loire se montre plus sérieuse dans ses aspects : ici c’est Chambord que l’on aperçoit de loin, et qui, avec ses dômes bleus et ses petites coupoles, ressemble à une grande ville de l’Orient ; là c’est Chanteloup, suspendant au milieu de l’air son élégante pagode. Non loin de ces palais un bâtiment plus simple