Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/269

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Celui-ci s’approcha, tenant par la main le jeune officier dont nous avons parlé.

— Je dois d’abord, dit-il, présenter à Votre Majesté le baron de Beauvau, qui arrive d’Espagne.

— D’Espagne ? dit la Reine avec émotion ; il y a du courage à cela. Vous avez vu ma famille ?

— Il vous en parlera, ainsi que du comte-duc d’Olivarès. Quant au courage, ce n’est pas la première fois qu’il en montre ; vous savez qu’il commandait les cuirassiers du comte de Soissons.

— Comment ! si jeune, monsieur ! vous aimez bien les guerres politiques !

— Au contraire, j’en demande pardon à Votre Majesté, répondit-il, car je servais avec les princes de la Paix.

Anne d’Autriche se rappela le nom qu’avaient pris les vainqueurs de la Marfée, et sourit. Le duc de Bouillon, saisissant le moment d’entamer la grande question qu’il avait en vue, quitta Cinq-Mars, auquel il venait de donner la main avec une effusion d’amitié, et, s’approchant avec lui de la Reine : — Il est miraculeux, madame, lui dit-il, que cette époque fasse encore jaillir de son sein quelques grands caractères comme ceux-ci ; et il montra le grand Écuyer, le jeune Beauvau et M. de Thou : ce n’est qu’en eux que nous pouvons espérer désormais, ils sont à présent bien rares, car le grand niveleur a passé sur la France une longue faux.

— Est-ce du Temps que vous voulez parler, dit la Reine, ou d’un personnage réel ?

— Trop réel, trop vivant, trop longtemps vivant, madame, répondit le duc plus animé ; cette ambition démesurée, cet égoïsme colossal, ne peuvent plus se supporter. Tout ce qui porte un grand cœur s’indigne de ce joug, et dans ce moment, plus que jamais, on entrevoit toutes les infortunes de l’avenir. Il faut le dire, madame ; oui, ce