Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/272

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c’est moi qui dois être et c’est moi qui serai régente, je n’abandonnerai ce droit qu’avec la vie : s’il faut faire une guerre, nous la ferons, car je veux tout, excepté la honte et l’effroi de livrer le futur Louis XIV à ce sujet couronné ! Oui, dit-elle en rougissant et serrant fortement le bras du jeune Dauphin ; oui, mon frère, et vous, messieurs, conseillez-moi : parlez, où en sommes-nous ? Faut-il que je parte ? dites-le ouvertement. Comme femme, comme épouse, j’étais prête à pleurer, tant ma situation était douloureuse ; mais à présent, voyez, comme mère je ne pleure pas ; je suis prête à vous donner des ordres s’il le faut !

Jamais Anne d’Autriche n’avait semblé si belle qu’en ce moment, et cet enthousiasme qui paraissait en elle électrisa tous les assistants, qui ne demandaient qu’un mot de sa bouche pour parler. Le duc de Bouillon jeta un regard rapide sur Monsieur, qui se décida à prendre la parole.

— Ma foi, dit-il d’un air assez délibéré, si vous donnez des ordres, ma sœur, je veux être votre capitaine des gardes, sur mon honneur ; car je suis las aussi des tourments que m’a causés ce misérable, qui ose encore me poursuivre pour rompre mon mariage, et tient toujours mes amis à la Bastille, ou les fait assassiner de temps en temps ; et d’ailleurs je suis indigné, dit-il en se reprenant et baissant les yeux d’un air solennel, je suis indigné de la misère du peuple.

— Mon frère, reprit vivement la princesse, je vous prends au mot, car il faut faire ainsi avec vous, et j’espère qu’à nous deux nous serons assez forts ; faites seulement comme M. le comte de Soissons, et ensuite survivez à votre victoire ; rangez-vous avec moi comme vous fîtes avec M. de Montmorency, mais sautez le fossé.

Gaston sentit l’épigramme ; il se rappela son trait trop