Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/276

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— Quoi ! même ayant le roi pour nous ? dit Anne d’Autriche.

— Oui, madame, oui, on ne sait pas combien cela peut durer : il faut prendre ses sûretés, et je ne fais rien sans le traité avec l’Espagne.

— Ne faites donc rien, dit la Reine en rougissant ; car certes je n’en entendrai jamais parler.

— Ah ! madame, ce serait pourtant plus sage, et Monsieur a raison, dit le duc de Bouillon ; car le comte-duc de San-Lucar nous offre dix-sept mille hommes de vieilles troupes et cinq cent mille écus comptants.

— Quoi ! dit la Reine étonnée, on a osé aller jusque-là sans mon consentement ! déjà des accords avec l’étranger !

— L’étranger, ma sœur ! devions-nous supposer qu’une princesse d’Espagne se servirait de ce mot ? répondit Gaston.

Anne d’Autriche se leva en prenant le dauphin par la main, et s’appuyant sur Marie :

— Oui, Monsieur, dit-elle, je suis Espagnole ; mais je suis petite-fille de Charles-Quint, et je sais que la patrie d’une reine est autour de son trône. Je vous quitte, messieurs ; poursuivez sans moi ; je ne sais plus rien désormais.

Elle fit quelques pas pour sortir, et, voyant Marie tremblante et inondée de larmes, elle revint.

— Je vous promets cependant solennellement un inviolable secret, mais rien de plus.

Tous furent un peu déconcertés, hormis le duc de Bouillon, qui, ne voulant rien perdre de ses avantages, lui dit en s’inclinant avec respect :

— Nous sommes reconnaissants de cette promesse, madame, et nous n’en voulons pas plus, persuadés qu’après le succès vous serez tout à fait des nôtres.