Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/293

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Cinq-Mars montait lentement les larges degrés qui devaient le conduire auprès du Roi, et s’arrêtait plus lentement sur chaque marche à mesure qu’il approchait, soit dégoût d’aborder ce prince, dont il avait à écouter les plaintes nouvelles tous les jours, soit pour rêver à ce qu’il allait faire, lorsque le son d’une guitare vint frapper son oreille. Il reconnut l’instrument chéri de Louis et sa voix triste, faible et tremblante, qui se prolongeait sous les voûtes ; il semblait essayer l’une de ces romances qu’il composait lui-même, et répétait plusieurs fois d’une main hésitante un refrain imparfait. On distinguait mal les paroles, et il n’arrivait à l’oreille que quelques mots d’abandon, d’ennui du monde et de belle flamme.

Le jeune favori haussa les épaules en écoutant :

— Quel nouveau chagrin te domine ? dit-il ; voyons, lisons encore une fois dans ce cœur glacé qui croit désirer quelque chose.

Il entra dans l’étroit cabinet.

Vêtu de noir, à demi-couché sur une chaise longue, et les coudes appuyés sur des oreillers, le prince touchait languissamment les cordes de sa guitare ; il cessa de fredonner en apercevant le grand Écuyer, et, levant ses grands yeux sur lui d’un air de reproche, balança longtemps sa tête avant de parler ; puis, d’un ton larmoyant et un peu emphatique :

— Qu’ai-je appris, Cinq-Mars ? lui dit-il ; qu’ai-je appris de votre conduite ? Que vous me faites de peine en oubliant tous mes conseils ! vous avez noué une coupable intrigue ; était-ce de vous que je devais attendre de pareilles choses, vous dont la piété, la vertu, m’avaient tant attaché !

Plein de la pensée de ses projets politiques, Cinq-Mars se vit découvert et ne put se défendre d’un moment de trouble ; mais, parfaitement maître de lui-même, il répondit sans hésiter :