Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/306

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vu comme le Roi a touché la main à Monsieur ? Il vous a fait signe, Montrésor ; Gondi, regardez donc.

— Eh ! regardez ! c’est bien aisé à dire ; mais je n’y vois pas avec mes yeux, moi ; je n’ai que ceux de la foi et les vôtres. Eh bien, qu’est-ce qu’ils font ? Je voudrais bien ne pas avoir la vue si basse. Racontez-moi cela, qu’est-ce qu’ils font ?

Montrésor reprit :

— Voici le Roi qui se penche à l’oreille du duc de Bouillon et qui lui parle… Il parle encore, il gesticule, il ne cesse pas. Oh ! il va être ministre.

— Il sera ministre, dit Fontrailles.

— Il sera ministre, dit le comte du Lude.

— Ah ! ce n’est pas douteux, reprit Montrésor.

— J’espère que celui-là me donnera un régiment, et j’épouserai ma cousine ! s’écria Olivier d’Entraigues d’un ton de page.

L’abbé de Gondi, en ricanant et regardant au ciel, se mit à chanter un air de chasse :

 
Les étourneaux ont le vent bon,
Ton ton, ton ton, ton taine, ton ton.


…Je crois, messieurs, que vous y voyez plus trouble que moi, ou qu’il se fait des miracles dans l’an de grâce 1642 ; car M. de Bouillon n’est pas plus près d’être premier ministre que moi, quand le Roi l’embrasserait. Il a de grandes qualités, mais il ne parviendra pas, parce qu’il est tout d’une pièce ; cependant j’en fais grand cas pour sa vaste et sotte ville de Sedan ; c’est un foyer, c’est un bon foyer pour nous.

Montrésor et les autres étaient trop attentifs à tous les gestes du prince pour répondre, et ils continuèrent :

— Voilà M. le Grand qui prend les rênes des chevaux et qui conduit.