Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/312

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se jetèrent sur eux, et, avant qu’ils eussent le temps de s’armer, se pendirent à leurs jambes, à leurs bras et à la bride de leurs chevaux, de manière à les tenir immobiles. En même temps une voix rauque, partant du brouillard, cria :

— Êtes-vous Royalistes ou Cardinalistes ? Criez : Vive le Grand ! ou vous êtes morts.

— Vils coquins ! répondit le premier cavalier en cherchant à ouvrir les fontes de ses pistolets, je vous ferai pendre pour abuser de mon nom !

Dios el Señor ! cria la même voix.

Aussitôt tous ces hommes lâchèrent leur proie et s’enfuirent dans les bois ; un éclat de rire sauvage retentit, et un homme seul s’approcha de Cinq-Mars.

Amigo, ne me reconnaissez-vous pas ? C’est une plaisanterie de Jacques, le capitaine espagnol.

Fontrailles se rapprocha et dit tout bas au grand Écuyer :

— Monsieur, voilà un gaillard entreprenant ; je vous conseille de l’employer ; il ne faut rien négliger.

— Écoutez-moi, reprit Jacques de Laubardemont, et parlons vite. Je ne suis pas un faiseur de phrases comme mon père, moi. Je me souviens que vous m’avez rendu quelques bons offices, et dernièrement encore vous m’avez été utile, comme vous l’êtes toujours, sans le savoir ; car j’ai un peu réparé ma fortune dans vos petites émeutes. Si vous voulez, je puis vous rendre un important service ; je commande quelques braves.

— Quels services ? dit Cinq-Mars ; nous verrons.

— Je commence par un avis. Ce matin, pendant que vous descendiez de chez le Roi par un côté de l’escalier, le père Joseph y montait par l’autre.

— Ô ciel ! voilà donc le secret de son changement subit et inexplicable ! Se peut-il ? un Roi de France ! et il nous a laissés lui confier tous nos projets !