Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/336

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pres supérieurs, parce qu’il veut être patriarche en France et chef de l’Église gallicane.

— C’est un schismatique, un monstre ! s’écrièrent plusieurs voix.

— Sa marche est donc visible, messieurs ; il est prêt à saisir le pouvoir temporel et spirituel ; il s’est cantonné, peu à peu, contre le Roi même, dans les plus fortes places de la France ; saisi des embouchures des principales rivières, des meilleurs ports de l’Océan, des salines et de toutes les sûretés du royaume ; c’est donc le Roi qu’il faut délivrer de cette oppression. Le Roi et la Paix sera notre cri. Le reste à la Providence.

Cinq-Mars étonna beaucoup toute l’assemblée et de Thou lui-même par ce discours. Personne ne l’avait entendu jusque-là parler longtemps de suite, même dans les conversations familières ; et jamais il n’avait laissé entrevoir par un seul mot la moindre aptitude à connaître les affaires publiques ; il avait au contraire affecté une insouciance très-grande aux yeux même de ceux qu’il disposait à servir ses projets, ne leur montrant qu’une indignation vertueuse contre les violences du ministre, mais affectant de ne mettre en avant aucune de ses propres idées, pour ne pas faire voir son ambition personnelle comme but de ses travaux. La confiance qu’on lui témoignait reposait sur sa faveur et sur sa bravoure. La surprise fut donc assez grande pour causer un moment de silence ; ce silence fut bientôt rompu par tous ces transports communs aux Français, jeunes ou vieux, lorsqu’on leur présente un avenir de combats, quel qu’il soit.

Parmi tous ceux qui vinrent serrer la main du jeune chef de parti, l’abbé de Gondi bondissait comme un chevreau.

— J’ai déjà enrôlé mon régiment ! cria-t-il, j’ai des hommes superbes !