— Ah ! Signor Jesu ! n’avoir personne à qui dire une parole amicale quand il fait si froid ! Et ma pauvre maîtresse ! venir à pied depuis l’hôtel de Nevers. Ah ! Amore qui regna, amore !
— Allons ! Italienne, fais volte-face, te dis-je ; que je ne t’entende plus avec ta langue de musique.
— Ah ! Jésus ! la grosse voix, cher Grandchamp ! vous étiez bien plus aimable à Chaumont, dans la Turena, quand vous me parliez de miei occhi noirs.
— Tais-toi, bavarde ! encore une fois, ton italien n’est bon qu’aux baladins et aux danseurs de corde, pour amuser les chiens savants.
— Ah ! Italia mia ! Grandchamp, écoutez-moi, et vous entendrez le langage de la Divinité. Si vous étiez un galant uomo, comme celui qui a fait ceci pour une Laura comme moi…
Et elle se mit à chanter à demi-voix :
Lieti fiori e felici, e ben nate erbe
Che Madona pensanda premer sole ;
Piaggia ch’ascolti su dolci parole
E del bel piedo alcun vestigio serbe[1].
Le vieux soldat était peu accoutumé à la voix d’une jeune fille ; et, en général, lorsqu’une femme lui parlait, le ton qu’il prenait en lui répondant était toujours flottant entre une politesse gauche et la mauvaise humeur. Cependant, cette fois, en faveur de la chanson italienne, il sembla s’attendrir, et retroussa sa moustache, ce qui était chez lui un signe d’embarras et de détresse ; il fit entendre même un bruit rauque assez semblable au rire, et dit :
- ↑ Rive où Laure égarait ses pas et ses pensées,
Qui de sa voix touchante écoutais les accents ;
Fleurs qui de vos parfums lui présentiez l’encens,
Que ses pieds délicats ont doucement pressées.
Petrarque, trad. de Saint-Geniez.