— Eh ! eh ! la moza[1], lève-toi et donne-moi à boire ; je suis las et j’ai soif.
La jeune fille ne répondit pas, et, sans lever les yeux, continua de filer avec application.
— Entends-tu ? dit l’étranger la poussant avec le pied ; va dire au patron, que j’ai vu là, qu’un ami vient le voir, et donne-moi à boire avant. Je coucherai ici.
Elle répondit d’une voix enrouée en filant toujours :
— Je bois la neige qui fond sur le rocher, ou l’écume verte qui nage sur l’eau des marais ; mais, quand j’ai bien filé, on me donne l’eau de la source de fer.
Quand je dors, le lézard froid passe sur mon visage ; mais lorsque j’ai bien lavé une mule, on jette le foin ; le foin est chaud ; le foin est bon et chaud ; je le mets sur mes pieds de marbre.
— Quelle histoire me fais-tu là ? dit Jacques ; je ne parle pas de toi.
Elle poursuivit :
— On me fait tenir un homme pendant qu’on le tue. Oh ! que j’ai eu du sang sur les mains ! Que Dieu leur pardonne si cela se peut. Ils m’ont fait tenir sa tête et le baquet rempli d’une eau rouge. Ô ciel ! moi qui étais l’épouse de Dieu ! on jette leurs corps dans l’abîme de neige ; mais le vautour les trouve ; il tapisse son nid avec leurs cheveux. Je te vois à présent plein de vie, je te verrai sanglant, pâle et mort.
L’aventurier, haussant les épaules, se mit à siffler en entrant, et poussa la seconde porte ; il trouva l’homme qu’il avait vu par les fentes de la cabane : il portait le berret[2] bleu des Basques sur l’oreille, et, couvert d’un ample manteau, assis sur un bât de mulet, courbé sur